Chapitre 6 - Des maux rédigés

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Une main sur le cœur, Lyn paraissait rassurée devant cette occasion inattendue. Cela n'apaisait pas totalement ses doutes, mais désormais il y avait une promesse pour qu'ils parviennent à temps sur les lieux de l'accident.

Concernant Erin, elle ne semblait pas partager la joie des autres. L'étrange l'enveloppait la protégeant dans une bulle en verre trempé.

Son regard de marbre fixait son reflet dans la vitre en face d'elle. La jeune fille ne se triturait plus les doigts comme si l'annonce de l'arrivée proche l'avait placée dans une sorte de coma éveillé.

Immobile, elle ressemblait à une poupée de cire, une de ces figurines flippantes de l'enfance. Seule sa respiration inaudible s'échouant dans l'atmosphère glacée de l'habitacle lui donnait l'air d'être encore en vie.

Perplexe, elle s'observait la tête penchée, ne disant mot. Tic. Tac. Tic. Tac. Ses yeux clignaient chaque seconde, rendant ce mouvement banal aussi mécanique que celui d'un robot.

Pourtant, bien que son attitude ait étrangement changé d'une minute à une autre, personne ne le remarqua. Isolée dans son coin et adossée contre le plexiglas séparant l'avant de l'arrière du véhicule, elle n'existait plus dans ce vaste monde tombant en ruine.

Pendant un court instant, Erin revint à elle, sa phase de léthargie s'arrêtant de façon brusque. La jeune fille se tourna vers les deux médecins dont les yeux se lançaient de doux regards langoureux et débordants d'amour.

Pendant un bref laps de temps, elle les observa d'une manière qui aurait pu faire flipper n'importe qui. Mais Lyn et Dan, bien trop concentrés dans leur bulle d'amitié profonde, ne relevèrent pas l'oeillade insistante de l'adolescente.

« Hum... Hum... se racla-t-elle la gorge. Est-ce que par hasard, l'un de vous aurait de quoi écrire ? »

Les deux intéressés se retournèrent déçus d'être dérangés dans leur longue contemplation. Leur visage marqué d'incompréhension insuffla à Erin qu'ils n'avaient pas entendu sa requête.

« Avez-vous un papier et un crayon ? Réitéra-t-elle sa question. »

Lyn fronça les sourcils, se demandant pourquoi l'adolescente en avait besoin. Elle regarda à son voisin, lui intimant d'un hochement de la tête de faire quelque chose. Devant les gros yeux de Carolyn, celui-ci tapota au hasard sa veste à la recherche des fameux objets.

Dans la poche droite, il trouva un vieux stylo au bout abîmé qu'il n'avait pas touché depuis au moins quelques semaines. Une trace de bavure apparaissait même à l'intérieur de sa blouse. Affichant une moue honteuse, il tendit le crayon à bille à la demoiselle se demandant si elle allait l'accepter dans cet état.

Faisant fi de cette condition, Erin lui arracha des mains dans la précipitation, une mine satisfaite sur la figure. De son regard, elle s'enquit du carnet et un refus lui répondit.

La jeune fille souffla d'agacement et se réinstalla correctement à sa place, non sans montrer sa déception à ses deux voisins. Une moue boudeuse sur le visage, elle ressemblait pour trait à une enfant capricieuse.

Daniel et Lyn affichèrent un rictus moqueur en la voyant ainsi se défaire pour une chose, aussi insignifiante soit-elle. Avec amusement, ils la regardaient faire des pieds et des mains avec ses pensées.

Même si ses compagnons semblaient se railler de son attitude, l'adolescente ne s'avoua pas vaincue. Elle devait repérer un support sur lequel écrire au plus vite.

Inspectant le reste du véhicule, ses yeux tombèrent sur cette bande de gaze enroulée. Ni une ni deux, Erin l'attrapa d'un geste vif rassurée d'avoir trouvé ce qu'elle demandait.

Pressée, elle déroula à la hâte un morceau de ce tissu de coton aidant à compresser les plaies des patients blessés. Se servant de ses dents pour couper la longueur voulue, elle semblait quiète.

Etonné, Daniel ne put que saluer l'intelligence de cette jeune fille. Même s'il ne savait pas ce qu'elle envisageait de faire, la regarder se concentrer sur sa tâche, lui enleva ses doutes et appréhensions quant à l'arrivée sur les lieux. L'apaisement se lisait sur son visage.

Lyn, qui conservait jusqu'alors un bref sourire, se surprit à ne plus penser à l'accident. Le voile de stress et de tristesse s'envola de ses épaules lui permettant de se détendre un brin avant la vague de blessés à soigner.

La présence de la jeune fille et ses agissements apportaient un réel souffle de fraîcheur à l'intérieur de l'habitacle. Ses passagers, d'ordinaire anxieux, se sentaient désormais prêts à en découdre.

Apaisés, Carolyn et Daniel en profitèrent pour se reposer un peu avant le nouvel afflux de patients. Tous deux fermèrent les yeux en même temps, laissant Erin vaquer à ses occupations.

La demoiselle ne perdit pas une minute de plus s'emparant du morceau de gaze arraché et du stylo baveux, elle s'installa sur la civière de relevage pour écrire sur une surface dure.

Au fil de ses mots, une liste prit peu à peu forme noyant de noir ce tissu de coton blanc. Aucune rature n'y prenait place comme si l'adolescente avait toujours su quoi marquer.

Ce moment de rédaction ne dura qu'une dizaine de minutes pendant laquelle sa main gauche ne cessa de griffonner ces mots si importants. Sa vitesse se faisait erratique et bien que son poignet souffre de ces mouvements répétés, elle continua son geste, consciencieuse.

Satisfaite de son travail, elle le contempla en déposant le stylo à côté. Ses genoux croisés, elle relut son écrit qu'elle finit par plier en quatre une fois l'encre séchée.

Par un concours de circonstances comme une vraie coïncidence, l'ambulance arriva sur les lieux de l'incident en un temps record. Le conducteur arrêta la sirène, ce qui fit sursauter Lyn et Dan qui siestaient encore.

À travers les fenêtres du véhicule d'urgence, les vestiges d'un ouragan sanguinolent s'exposaient à la lumière du jour. Et ce qu'ils voyaient à la fin du peloton n'était en rien comparable au début de la voie accidentée.

Figés, les médecins ne disaient mot rendant ce silence aussi froid que la mort en ces lieux. Le choc se lisait sur tous les visages à mesure que l'ambulance progressait parmi les décombres de voitures endommagées.

Lorsque le fourgon se stoppa incapable d'avancer plus loin, le temps s'arrêta une demi-seconde durant laquelle personne n'osa bouger le moindre orteil. Puis la vie reprit son cours et Brook fut le premier à descendre apporter son aide.

À l'arrière du camion, Lyn donna un coup de coude à Daniel pour qu'il ouvre la porte. Ce qu'il fit sans plus attendre, se reprenant pour ne pas laisser ses émotions refaire surface.

Les deux médecins sortirent suivis d'Erin, un air grave sur le visage. Avant que les héros du jour ne disparaissent accomplir leur destin, la jeune fille tira sur la manche de la blouse de Daniel et lui tendit la précieuse liste écrite quelques instants plus tôt.

Celui-ci ne comprit pas la situation, mais avant de pouvoir dire quoi que ce soit, l'adolescente lui remit en main propre son morceau de gaze et partit d'un pied ferme de l'autre côté de l'accident.

Perplexe devant ce geste, Daniel se retourna vivement pour essayer de la rattraper. Mais il ne vit au loin que le brouillard et la pluie fine de l'ouragan. Aucune trace de la jeune fille. Elle s'était évaporée dans la nature comme un souffle dans l'air.

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J'espère que ce chapitre vous aura plu. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, je serai plus que ravie de lire vos commentaires.

Que pensez-vous de l'histoire jusqu'à présent ?

Des théories pour la suite du récit ?

Comment réagiriez-vous face à cette catastrophe naturelle ?

D'après vous, qu'a-t-elle écrit sur le morceau de gaze ?

Et pourquoi l'a-t-elle remis au médecin ?

♥ À bientôt pour la suite de cette aventure livresque. ♥

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