Urbex Love

🦇03 - Le gardien

Vendredi 23 juin 2023

Le silence était épais tandis que Marko me soutenait pour grimper l'escalier, et je luttais pour trouver quelque chose de malin à dire, mais tout ce qui sortit fut d'une banalité affligeante.

— J'ai laissé mon sac avec mes affaires dans la bibliothèque. C'est là que je comptais dormir, après avoir pris des photos.

— Mauvaise idée, me répondit-il. La bibliothèque est affreusement poussiéreuse et presque toutes les fenêtres sont brisées. Ce n'est pas le pire endroit pour dormir, mais ce n'est clairement pas le meilleur.

À l'entendre, il était suffisamment familier des lieux pour connaître ce genre de détails, ce qui m'intrigua. Je me demandais vraiment qui il pouvait être, et comment il était arrivé ici sans être remarqué ni par les crétins qui avaient voulu me pranker, ni par moi. Et chaque chose qu'il avait dite ou faite jusque là m'apportait davantage de questions, et absolument aucune réponse, d'autant que l'obscurité m'empêchait de bien voir son visage. Mais il m'avait épargné une chute mortelle au travers du plancher en me retenant de justesse, il m'avait aidé à coincer les petits malins qui essayaient de me faire flipper, et il m'avait empêché de reprendre la route dans cet état. Et il paraissait plutôt sympa, même s'il était grincheux et laconique.

Une fois dans la bibliothèque, il ramassa mon sac avant que je n'aie le temps de dire quoi que ce soit, ce qui me donna un nouvel aperçu de sa force quand il le chargea sur son épaule. Avec tout mon équipement à l'intérieur, je savais qu'il pesait son poids — d'autant que je l'avais porté jusque-là — mais il le souleva comme s'il s'agissait simplement du proverbial sac de plumes. Et puis il s'arrêta, les yeux posés sur ma petite mise en scène dans la bibliothèque. Un instant, je m'attendis à de la désapprobation, mais j'entendis tout l'inverse dans sa voix.

— C'est sympa. J'aime beaucoup le côté féerique. Tu as bon goût, ça change du macabre et du glauque.

— Est-ce que je peux laisser ça là et ranger demain ? demandai-je en essayant de cacher ma fierté à entendre son compliment. J'aurais aimé faire encore quelques photos.

Au lieu de me répondre, il se contenta d'un signe de la main que je pris pour un acquiescement, puis il commença à s'éloigner, mon sac chargé négligemment sur son épaule. Comment un type aussi menu pouvait être aussi fort ? Je le suivis avec un petit temps de retard, et frissonnai lorsque sa main revint dans le creux de mon dos pour me guider loin des zones abîmées du parquet. Il n'y avait rien de désagréable dans ce geste, qui se voulait seulement attentif, et j'acquiesçai avec moi-même sur le fait que Marko était définitivement plus gentil qu'il ne le laissait paraître. Toutefois, j'étais franchement curieux de découvrir où est-ce qu'il voulait m'emmener pour dormir, et je me sentis plutôt idiot lorsqu'il sortit un trousseau de clefs de sa poche pour ouvrir la porte verrouillée qui donnait accès à la partie murée du pavillon.

— Oh bon sang, dis-je dans un souffle. Tu es le gardien, c'est ça ? Merde, je suis vraiment désolé d'être venu du coup, je pensais que c'était vraiment abandonné...

— L'un n'empêche pas l'autre, répondit-il d'un ton encore plus mystérieux. Viens, tu dormiras franchement mieux ici que sur le sol de la bibliothèque à travers lequel tu as failli passer.

Je n'en doutais pas une seconde, mais je m'arrêtai quand même, décidé à avoir quelques réponses plus claires que ce marmonnement énigmatique. Si je devais passer la nuit chez lui, dans un pavillon en ruine au milieu de nulle part, je voulais en savoir assez pour me rassurer.

— Si tu es le gardien, comment ça se fait que je ne t'ai pas croisé dans la journée ? Et comment ça, «l'un n'empêche pas l'autre» ??

— J'habite dans cette partie du pavillon, répliqua-t-il avec un calme presque amusé, par conséquent on ne peut pas dire qu'elle soit abandonnée, pas vrai ? Et tu ne m'as pas vu parce que tu ne pouvais pas accéder à cet endroit et que je dormais, en fait.