Urbex Love

📷07 - Mises au point

Samedi 24 juin 2023

Quitter le pavillon sans être sûr à 100% qu'il était étanche au soleil fut l'une des choses les plus difficiles de toute ma vie. Bon, pour être honnête, le plus dur avait surtout été de partir alors que Marko dormait encore, enroulé autour de la couette, le visage enfoui dans son oreiller. Il était tellement adorable que j'avais été incapable de résister à l'envie d'embrasser le petit bout de son front dégagé par ses boucles emmêlées. Et en fermant doucement la porte derrière moi, j'avais pris une décision : j'allais revenir. La perspective de partir sans jamais revoir Marko me serrait le cœur, et décider de revenir le voir me remonta un peu le moral alors que je m'éloignais lentement du pavillon.

En arrivant chez moi, j'étais absolument claqué, contrecoup de ces deux jours au rythme décalé et riches en émotions. Mais je ne voulais pas dormir, de peur de ruiner complètement mon cycle de sommeil. Alors à la place, je commençai par appeler ma sœur pour lui dire que j'étais bien rentré, et quelque chose dans ma voix dut lui mettre la puce à l'oreille sur mon drôle d'état.

— Je serai là pour le goûter, annonça-t-elle de ce ton sans équivoque de grande sœur. J'apporte des cookies.

— Puisque j'ai le choix, ris-je. À tout à l'heure.

En l'attendant, je pris le temps de ranger mon matériel puis de commencer à télécharger mes photos sur mon ordinateur pour les regarder avec Yseult lorsqu'elle serait là. J'en profitai pour envoyer des messages à mes meilleurs amis pour leur dire que j'étais de retour chez moi et répondre aux derniers commentaires de notre groupe de discussion sur les photos du pavillon que j'avais partagées. Je n'avais pas parlé du prank ni de Marko, parce que je voulais me poser pour le faire, mais cela attendrait que j'en aie parlé avec ma sœur.

C'était elle qui m'avait communiqué sa passion pour l'urbex et la photographie, quand j'avais à peine douze ans et que je suivais partout avec des yeux impressionnés ma sœur de quatre ans mon aînée qui était la définition de cool. Notre grand frère, Tugdual, ne s'était jamais vraiment intéressé à ce type d'aventure, préférant de loin la nature et des ruines plus historiques et anciennes que de vieilles maisons abandonnées. Je partageais d'autres centres d'intérêts avec lui, mais j'étais plus proche d'Yseult dans la plupart des domaines, et elle était une amie autant qu'une sœur.

Voilà pourquoi, deux heures plus tard, je me retrouvai installé avec elle dans mon canapé, à partager du thé glacé avec des cookies tout en lui racontant mon exploration de ce que j'avais décidé d'appeler le «Pavillon du Prince Charmant». Et parce qu'elle faisait de l'urbex depuis plus longtemps que moi et s'y connaissait encore mieux, je lui fis un récit coloré du piège qui m'avait été tendu.

— Tu devrais arrêter de traîner avec ces crétins ! se fâcha-t-elle. Anthony est bête à manger du foin, et Hugo n'est rien d'autre qu'un petit con qui mériterait une sacrée paire de claques. Sa chaîne est un ramassis de conneries putaclic qui donne une mauvaise image de l'urbex et incite aux dégradations.

— Je ne traîne pas avec eux ! me défendis-je. J'ai genre fait deux explos avec eux en tout, et c'était l'année dernière, avant qu'ils ne commencent à poster des vidéos débiles dans le genre «on trouve un cadavre en plein urbex!». Et je ne les aime pas plus que toi, peut-être même encore moins après ce week-end. Mais reconnais que leur tuyau était excellent, le pavillon est probablement le plus bel endroit que j'ai visité depuis... toujours en fait.

Cela eut le mérite de la radoucir alors qu'un sourire revenait sur son visage. Le diaporama des photos que j'avais prises tournait sur mon ordinateur, et cette fois je lui parlai de ce qui m'importait vraiment : Marko. Parce que ma sœur était incollable sur l'urbex et ses dangers, je ne pris pas la peine de lui cacher ce qu'il était. D'autant plus que, si j'avais l'espoir de revoir Marko, mieux valait être honnête à son sujet dès le départ. Et j'avais besoin de pouvoir en parler à quelqu'un de confiance sans avoir à chercher mes mots.

— Il a l'air sympa, sourit ma sœur à la fin de mon explication. Tu as eu de la chance qu'il soit là pour te rattraper quand tu as failli passer au travers du plancher. Et c'était la bonne chose à faire que de réparer sa chambre. Honnêtement, je préférerais mille fois que tu retournes au pavillon pour passer une nuit blanche avec ce vampire, que de te voir repartir en explo avec les deux crétins de Go Urbex.

Aucun risque là-dessus, j'avais compris la leçon et j'étais suffisamment furieux contre eux pour ne pas laisser passer leur mauvaise blague. Alors, sitôt ma sœur repartie, je pris le parti d'envoyer un message à tous mes contacts sérieux dans le monde de l'urbex pour les mettre en garde contre ces deux-là. Et je fus à peine surpris d'apprendre que j'étais loin d'être le premier à qui ils avaient fait un coup pareil. J'avais l'impression qu'il me suffirait de poser quelques questions pour me retrouver avec une pile de témoignages de leurs conneries, depuis la divulgation d'adresse jusqu'à l'entrée par effraction dans des maisons secondaires pas exactement abandonnées. J'avais eu vraiment, vraiment de la chance que Marko soit là pour me retenir cette nuit-là, sans quoi j'aurais pu y rester.

Sans grande surprise, cela me laissa malgré tout quelques cauchemars, dans lesquels ma chute à travers le plancher rivalisait avec des visions de Marko entièrement réduit en cendres par le soleil. Au fil des jours, je peinais à penser à autre chose qu'à ce petit vampire adorable et je brûlais d'envie de retourner passer un week-end au pavillon pour m'assurer qu'il allait bien et juste... papoter. Je voulais le tenir au courant des dernières news concernant les connards qui avaient fait des dégâts dans sa maison, mais aussi apprendre à mieux le connaître et peut-être avoir une chance de vraiment devenir amis.

Avant que je ne puisse réellement me décider et commencer à m'organiser pour aller passer une nuit blanche au Pavillon du Prince Charmant, une invitation de dernière minute bouleversa mes plans. Loïc, mon meilleur ami avec qui j'avais exploré encore plus de spots qu'avec ma sœur, organisait un week-end exploration pour l'anniversaire d'Eléonore, sa copine (et accessoirement ma plus vieille amie). Il avait besoin de moi pour préparer deux ou trois trucs en vue de lui faire une belle surprise, tandis qu'il se chargeait de planifier notre visite.

— J'ai entendu parler d'un manoir abandonné, m'expliqua-t-il, à une petite heure de route de chez nous. Le coup classique, c'est un ancien château qui a été racheté il y a des années par un richissime Australien, ou alors c'est un Chinois je ne sais plus, qui est reparti à l'autre bout du monde et l'a complètement oublié. D'après les quelques vues aériennes que j'ai trouvées, ça a l'air ultra stylé comme endroit. Je vais en repérage ce soir, et je te tiens au courant.

Il fallait également décider des cadeaux que nous allions offrir à Éléonore, et du reste de notre programme. Loïc y avait déjà pas mal réfléchi et je me sentis un peu bizarre de savoir que j'allais passer le week-end à vingt minutes de chez Marko, sans avoir le temps d'y passer autrement qu'en pleine journée. En ajoutant à ça que Loïc et Éléonore étaient ensemble, cela promettait d'être un peu moins marrant de mon côté, mais j'étais capable de faire bonne figure pour mes plus proches amis. Et puis rien ne m'empêchait de retourner au pavillon la semaine suivante pour y passer le week-end entier si je voulais.

— On pourra aussi aller au cinéma ! ajouta Loïc. Ils repassent Astérix Mission Cléopâtre remasterisé, je vais regarder les horaires et je te tiendrai au courant.

— Ce sera l'occasion de le voir sur grand écran ! Ça va être bien. Ça va être très bien, même.

C'était l'un de nos films préférés, que nous connaissions par cœur, et j'étais vraiment content de pouvoir le voir au cinéma. À vrai dire, si je faisais abstraction de la proximité inaccessible de Marko qui me narguait, cela promettait d'être un super week-end.