Chapitre 17

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 Je comprends tout à coup que je suis peut-être en train de faire une énorme gaffe. Et si Marcel n'était pas du tout retraité ? Il va falloir que je trouve un moyen de retomber sur mes pattes !

— Euh, comme tu voyages beaucoup, peut-être que tu ne travailles plus...

Le sol devient glissant, au sens propre comme au sens figuré.

— Dis-moi, tu penses que j'ai quel âge ?

J'entends Fabien pouffer de rire.

— Euh... je suis nulle pour donner des âges aux gens. Je fais toujours des boulettes, c'est terrible ! On peut changer de sujet ?

— Non, non, non ! Quel âge j'ai, selon-toi ?

Je le dévisage. Je dirais soixante-cinq. Mais y'a les chaussettes dans les sandales, on va ajouter cinq. Comme j'ai une énorme marge d'erreur, on va enlever dix pour cent par sécurité. Putain, moins dix pour cent de soixante-dix, ça fait combien, bordel ?

— Cinquante ! je crie tandis qu'une énorme rafale manque de me faire chuter.

Fabien s'arrête et me regarde, consterné. Marcel s'arrête et me demande si c'est mon dernier mot avant d'éclater de rire :

— J'en ai quatre-vingt-trois, mademoiselle ! me lance-t-il, le regard triomphant.

— Tu m'as bien eue !

Il est marrant le Marcel, finalement. Fabien se retourne et nous crie :

— Allez, les tourtereaux, on se concentre. Là, ça va grimper, il va falloir être attentifs.

Je regarde devant moi. Ou plutôt au dessus. Effectivement, ça grimpe tellement que je qualifierais plus ce que nous faisons d'alpinisme que de rando. Je m'aperçois que le grondement que j'entends depuis déjà un moment est celui d'une cascade qui dégringole du mur de terre et de pierres que nous grimpons. La brume s'est levée d'un coup. Je n'ai plus du tout envie de parler.

Me voilà en train d'escalader un volcan au milieu d'un énorme nuage. Sur le papier, ça avait l'air d'être une super idée. Dans la réalité, je commence à très sérieusement en douter. La terre du chemin est trempée, glissante et encombrée de racines et de cailloux. Plus d'arbres à cette hauteur, pour nous abriter de la pluie. Juste des buissons accrochés on ne sait comment aux flancs du volcan. Le bruit s'intensifie, mes courbatures aussi. Nous devons traverser un petit pont de bois - bien moins planplan que celui d'Yves Duteil - à flanc de ravin et de chutes d'eau. Mais qu'est-ce que je fous là ?

Passé ce petit pont, le chemin retrouve une allure un peu plus sécurisante. Mon coeur va éclater tant il bat vite. Je suis totalement essoufflée. Devant moi, Marcel ne la ramène plus. Mais il force le respect de grimper aussi bien à son âge. La pluie s'arrête. Nos capes en plastique, celles qu'on se jure de ne jamais porter quand on en voit sur des touristes japonnais, nous ont un peu protégés mais nous sommes tout de même bien trempés.

Fabien, qui ne semble pas être affecté par le temps et par l'effort surhumain que demande la rando qu'il anime, s'arrête et propose une petite pause avec un grand sourire. Je me tourne et voit ma Gaby arriver complètement dégoulinante. Pour une fois, elle n'affiche pas son légendaire sourire. Nos yeux se croisent et je sais qu'elle est dans le même état d'épuisement que moi. Elle nous imagine certainement les doigts de pieds en éventail sur la plage du club et se demande quelle mouche nous a piquées.

On grimpe encore quelques mètres et je comprends immédiatement en regardant autour de moi, pourquoi Fabien a choisi cet endroit précis pour la pause. Les nuages sont restés accrochés aux rochers en contrebas. En dessous du promontoir sur lequel nous nous trouvons, une mer bleue, majestueuse, veloutée, à perte de vue. Deux îles de petite taille semblent flotter sur cette immense étendue d'azur où ciel et eau se confondent. Fabien m'explique que ce sont les Saintes. En bon commercial, il me rappelle que le club propose une excursion là-bas en début de semaine prochaine.

Je suis subjuguée par ce panorama qui s'étend sous mes yeux. Fabien me met un gobelet entre les mains et y verse le café tant attendu qui va me réchauffer me redonner l'énergie nécessaire. Tout le monde sirote sa boisson en silence et prend, mentalement ou à l'aide de son téléphone, des photos du paysage. Gaby s'assoit sur une pierre plate à côté de la mienne.

— C'est magnifique, hein ?

— Splendide, me dit-elle, pensive.

— Tout va bien ?

— Oui, oui... Je pense à Olaf.

— Ne pense pas trop à lui ici, il pourrait fondre !

Elle soupire. Ma blague hilarante n'a pas trouvé son public.

— Je me suis attachée à lui. J'espère qu'il ne va pas me briser le coeur...

— Qu'il s'avise de le faire et je le pulvérise à coups de pelle !

Elle pose sa tête sur mon épaule et reste silencieuse. J'entends des pas derrière-nous. C'est Martine, avec qui je n'ai pas encore eu l'occasion de discuter. Si je ne me trompe pas, c'est elle qui est venue en vacances avec son ami Gilles.

— Excusez-moi, les filles. À tout hasard, l'une de vous aurait-elle des pastilles pour la gorge ?

— Euh, non, désolée. Tu es malade ?

— Avec tous ces changements de température, ma gorge me picote un peu et j'ai laissé ma trousse d'anti-inflammatoires et d'antibiotiques à l'hôtel.

— Ta trousse de ...

Gaby me donne un coup de coude et me murmure « laisse tomber ». Quand Martine s'éloigne pour renouveler sa requête auprès de Fabien et Marcel, mon amie m'explique que nous avons affaire à un spécimen rare d'hypocondriaque. Apparement, pendant toute la montée, elle a passé en revue tous les risques sanitaires liés aux variations d'altitude, de température et d'humidité. Elle a même emmené un masque pour éviter de respirer les vapeurs toxiques émanant du volcan. Et enfin, elle nous a prises pour un couple !

— Ah oui, quand-même ! Elle les cumule, la Martine.

— C'est le moins qu'on puisse dire ! 

Le Soleil De Ma VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant