Chapitre 31

3 0 0
                                    

  J'étais convaincue qu'il avait travaillé de nuit et que j'allais réussir à l'éviter quelque temps. Il se fige aussi en me voyant puis me fait un grand sourire avant de s'intéresser à la patiente. Je lui présente les éléments du dossier avec le plus de neutralité possible. Il regarde de plus près les résultats imprimés en continu par le monitoring, examine la patiente et annonce froidement qu'il va falloir procéder à une césarienne en urgence.

— On va vous préparer et je vous retrouve au bloc dans quelques minutes. Le fœtus a probablement le cordon enroulé autour du cou. On va régler ça, ne vous en faites pas, lance t-il avant de sortir.

Dans la salle, c'est la consternation. La future maman, folle d'inquiétude se met à sangloter. Christian et moi échangeons un regard choqué avant qu'il prenne congé en expliquant de façon détaillée comment il va procéder à la rachi-anésthésie.

Deux infirmières arrivent pour préparer la future maman. J'en profite pour m'éclipser en expliquant au couple que la rencontre avec leur bébé approche et que plus d'une naissance sur cinq se fait par césarienne. C'est pour le bien du bébé et de la maman que nous passons par la case chirurgie.

Je file au bloc opératoire et sans surprise, j'y trouve Louis en train de se désinfecter les mains en sifflotant.

— Hey ! Salut Sainte-Anne ! Alors, ces vacances ? T'as pris de sacrées couleurs !

Il s'avance vers moi, pour m'embrasser, sans doute. J'ai un mouvement de recul. Comment ose-t-il faire comme si de rien n'était ? Je sens que ma colère monte encore d'un cran.

— Tu aurais pu être un peu plus sympa avec madame Potier. Elle est complètement terrorisée ! Comment est-ce que tu peux être aussi froid avec tes patients ?

— Oh là là ! Anne est fâchée ! Écoute, ma belle, je suis là pour permettre à ce bébé d'arriver sans encombre, pas pour jouer les nounous. Ça, c'est ton taf, pas le mien.

— Pardon ?

— Ne le prends pas mal, ma jolie, mais quand on est médecin, on n'a pas le temps de faire ami-ami avec les patients. Je sauve des vies, moi. Bon, alors, tes vacances ? C'était comment ?

Je suis tellement choquée par ce que je viens d'entendre que j'en reste bouche bée. Il dépose un bisou sur ma joue et entre au bloc. Je me sens bouillir de l'intérieur tant la colère m'envahit. Mais déjà il faut que je retourne voir ma patiente pour la rassurer. Et que je continue mes rondes en cachant mon désarroi aux autres couples que je vais accompagner.

— Madame Potier, je vous laisse entre de bonnes mains. Je reviens vous voir quand vous serez sortie du bloc.

Elle n'arrive pas à se calmer. Elle est en pleurs. Elle a peur pour son bébé. Son compagnon a les yeux rougis, il ne cesse de lui répéter que tout va bien se passer et qu'ils vont bientôt rencontrer enfin ce premier enfant tant attendu. J'aimerais rester avec eux, mais le devoir m'appelle. Je serai présente par la pensée. Une autre maman, dans la chambre d'à côté, s'apprête à donner naissance à son cinquième enfant.

Cette diversité dans les rencontres que je fais quotidiennement me galvanise. Que l'on ait vingt ou quarante ans, que l'on accouche pour la première ou la huitième fois, que l'on soit croyante ou athée, il y a toujours cette impatience mêlée d'appréhension au moment fatidique d'expulser le bébé. Toutes les femmes ont ce même regard qui, même voilé par la douleur, ne peut cacher une ferme détermination à propulser une petit être humain dans le monde.

— Alors, madame De Cléambert, comment vous vous sentez ? je lui demande en enfilant mes gants pour l'examen.

— Tout va bien. Je m'attendais à avoir plus mal sans péridurale. Je sens qu'il arrive, ça me donne des forces !

— Ah oui, effectivement ! On va pouvoir commencer à pousser à la prochaine contraction.

Je suis épatée par le calme olympien de cette patiente. Elle a décidé d'avoir ce cinquième enfant de la façon la moins médicalisée possible. C'est le cas de beaucoup de femmes qui prévoient de donner naissance sans péridurale et qui, une fois prises dans le douloureux tourbillon de l'accouchement, changent d'avis et me supplient d'appeler l'anesthésiste. Mais non, cette patiente force le respect. Elle respire profondément, ferme les yeux et semble s'enfermer dans une bulle à chaque fois qu'elle contracte.

— Madame, sera-t-il possible que je sorte moi même le bébé, quand il arrivera ? me demande-t-elle timidement.

— Oui, bien-sûr. Sauf en cas de difficultés. Mais sur le principe, je n'y vois aucun inconvénient.

Elle tourne la tête vers son mari et lui sourit. Je m'amuse de voir que ce dernier est venu en costume-cravate à la maternité. Ils sont pourtant arrivés en pleine nuit. La plupart des papas débarquent ici complètement paniqués, en vieux t-shirt, cheveux en bataille et pas rasés. Monsieur De Cléambert est tiré à quatre épingles. Comme sa femme, il est étonnement calme et j'avoue que cette sérénité me fait du bien, même si ma tête est au bloc avec mes autres patients.

Le moment tant attendu arrive.

— Poussez, madame !

Ma patiente devient rouge, serre les dents, ferme les yeux et commence à pousser de toutes ses forces. Son mari lui tient la main et l'encourage en la vouvoyant. Au début, je pense avoir mal entendu, mais il reprend :

— Courage, Marie-Bénédicte, vous êtes merveilleuse, vous vous en sortez très bien !

Je pourrais avoir envie de rire tant ce couple est cliché. On les croirait sortis tout droit de La vie est un long fleuve tranquille ! Mais en réalité, ils me touchent. Ils sont beaux tous les deux, malgré leurs fioritures, la cravate et les « Je vous aime, Marie-Bénédicte ».

L'amour n'a pas de visage ou de modèle précis.

— Je vois sa tête, vous y êtes presque. Prochaine contraction, vous ferez une longue poussée, et vous pourrez vous redresser pour accompagner votre bébé vers la sortie. Je ne vous ai pas demandé si vous attendez un garçon ou une fille !

— Nous ne savons pas. Nous avons déjà deux garçons et deux filles alors peu importe ! C'est un cadeau du ciel ! me dit le papa tandis que la maman se concentre et rassemble ses dernières forces pour la fin du marathon.

— La contraction arrive ! Poussez, poussez... encore, encore, encore...

La tête sort, la patiente hurle, je dégage les épaules du bébé et accompagne Marie-bénédicte pour qu'elle le réceptionne. Puis la magie opère. Le premier cri du petit Léandre résonne dans la pièce tandis que ses parents l'accueillent avec émerveillement. Le papa coupe le cordon d'une main de maître, on sent qu'il a de l'expérience, c'est amusant ! Je les félicite et les laisse avec la puéricultrice.

Je fonce prendre des nouvelles de la famille Potier. J'apprends avec soulagement que Louis est intervenu à temps. La petite Alice est née et est en pleine forme. La maman est un peu secouée mais va bien. Deux semaines de congés et j'avais oublié à quel point ce métier est difficile nerveusement ! Pourtant, je serais bien incapable de faire autre chose...

Le Soleil De Ma VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant