Dans la belle et grande vallée des montagnes enneigées, où la neige et ses cristaux scintillants fondaient tranquillement sous les rayons du soleil, un point blanc parmi les derniers brillait encore sous la splendide lumière du jour. Bien évidemment, il ne s'agissait pas d'un reste d'hiver en train de disparaître, mais d'une très charmante louve à la fourrure blanche. Dans ses magnifiques yeux bleus en amandes flottait l'admiration devant le paysage qui s'offrait à elle. Tellement grand, vaste, rempli de couleurs et si envoûtant avec ses majestueuses montagnes s'élevant dans toute leur grâce vers les nuages. Pour la jeune louve, ces rocheuses étaient le refuge rêvé pour profiter du grand calme ou encore s'amuser à s'imaginer toutes les aventures possibles derrière ces frontières qu'elle ne franchissait jamais. Hélas, son destin sensé la rendre choyée n'était plus qu'une existence emprisonnée au milieu de ces monts interdits. Jamais elle ne quittait son territoire même si elle en mourait d'envie, car son père, l'autoritaire chef de meute, voulait à tout prix la protéger de ce monde sauvage et dangereux qu'il connaissait. Les autres clans, les errants et les solitaires étaient entre autres ce qui l'inquiétait. Mais encore, il existait les loups noirs. C'était ce vieux souvenir d'un combat aux côtés des loups d'argent contre l'armée de la Bête Noire qu'il refusait d'évoquer au fond de lui. Durant celui-ci, sa bien-aimée avait sauvé leur seul et unique louveteau au prix de sa propre vie. Une vieille histoire qu'il jurait de ne jamais raconter en raison de cette douloureuse image qui revenait sans cesse, de l'inquiétude qui le taraudait au sujet de sa précieuse fille, mais aussi parce que la déesse, Lune, était apparue en chair et en os pour venir au secours de son clan. Menacée par la rage d'Obscur, la meute de Denver avait supplié qu'on lui vienne en aide. Comme lui et sa tendre amoureuse avaient cru toute leur vie que cette Lune était bien réelle et qu'elle ne les laisserait jamais tomber, contrairement aux autres clans qui n'y croyaient plus depuis longtemps, la déesse s'était manifestée pour les protéger contre les forces maléfiques. Cependant, il était défendu d'en parler, car c'était l'ordre que la louve ailée leur avait laissé avant son départ. Les loups d'argent furent alors vainqueurs de cette première guerre, loin d'être la dernière face à la ténacité d'Obscur. Et ce, malgré le douloureux sacrifice de Martha, la mère d'Adella. Depuis ce jour, c'était des loups sombres aux horribles intentions sous l'autorité de la Bête Noire que l'alpha redoutait le plus le danger, sans toutefois comprendre pourquoi ils en voulaient tout particulièrement à son clan. Cette bête était d'une allure à tel point laide et terrifiante, que nul ne pouvait croire en un monstre plus menaçant laissant derrière lui la nuit plus noire qu'elle ne l'était. Pas un clan étranger n'osait s'en prendre à celui du Nord dont l'alpha était Denver, car tous savaient par les rumeurs les plus courantes qu'il était le plus puissant des régions montagnardes. Cependant, c'était déjà peu dire face à ce dont étaient capables les ombres noires aux regards écarlates. La jeune Adella, elle, n'était pas initiée à cette inquiétante réalité. La belle louve blanche savait simplement qu'elle était orpheline de mère depuis qu'elle était toute petite et gardait précieusement dans sa mémoire les moments où sa douce maman lui offrait de l'amour et de la tendresse. Jusque-là, savoir de quoi elle était morte ne lui était plus d'aucune importance. Son père Denver refuserait de lui dire ou lui mentirait. Toutefois, cela la troublait d'ignorer ce qui existait derrière les montagnes du territoire. Elle passait son temps à rêver et à envier les chasseurs qui partaient en éclaireurs pour de multiples explorations en quête d'un nouveau terrain de chasse. Pourtant, son père et les autres membres de la meute ne cessaient de lui rappeler à quel point elle était chanceuse de pouvoir profiter de ce qu'on lui rapportait. Plusieurs chasseurs lui ramenaient à manger sans qu'elle n'ait à traquer elle-même ses proies, contrairement aux autres. Ainsi, elle passait pour la petite gâtée de la famille aux yeux de certains jaloux, mais ceux qui la connaissaient mieux savaient combien elle souhaitait faire comme tout le monde et apprendre dans cet univers du dehors avec ses propres moyens. Sur l'heure du crépuscule, les éclaireurs qui revenaient se reposer de leur chasse de la journée étaient peut-être les seuls capables de divertir un peu la vie monotone de la belle Adella. En lui racontant leurs fascinantes aventures dans les forêts, plusieurs de ceux-ci espéraient gagner son cœur en la rendant un peu plus joyeuse. Cette louve était tellement charmante que s'ils avaient pu, ils l'auraient emmenée avec eux lors d'une de leurs expéditions, mais ils connaissaient le sévère avertissement que leur chef de meute leur avait donné. Le père d'Adella n'était pas très indulgent avec les jeunes qui avaient l'intention de faire des folies et encore moins lorsque sa fille en faisait partie. De toute façon, la jeune louve blanche préférait se tenir à l'écart des anecdotes amoureuses. La saison des amours n'étant pas pour bientôt, il valait mieux être patiente. Même si elle était dans la fleur de l'âge, elle se sentait mal à l'aise devant les regards intéressés. En fait, elle ne savait quoi en penser, n'ayant jamais véritablement rencontré l'amour. Il lui arrivait d'y songer, quelques fois, lorsqu'elle rêvait de la vie de l'autre côté des frontières. Peut-être que son âme-sœur l'attendait là-bas, mais elle ne la rencontrerait probablement pas avant longtemps. Les jours passèrent encore et encore, mais désormais, plus rien n'arrivait à combler le vide profond dans le cœur d'Adella qui désirait de plus en plus être libre d'aller où elle le voudrait. Les récits d'aventure des chasseurs ne la surprenaient plus et elle ne pouvait pas se contenter d'observer les montagnes sans les traverser. Elle ne cessait de supplier son père pour qu'il lui permette une seule occasion de quitter le territoire. Cependant, Denver refusait catégoriquement de la laisser franchir les limites. - Il faudra que tu me laisses grandir un jour ou l'autre, lui dit-elle, ce jour-là, dans un grondement de colère. Le grand loup gris ne répondit rien à sa fille pour contourner la dispute, car il n'en avait décidément pas envie. Quittant les lieux pour prendre l'air un bref instant, il continua de penser à Adella qui avait besoin de s'aventurer. Que pouvait-il refuser à ses beaux yeux ? Ce n'était que nuisible pour une jeune louve de passer chaque jour de sa vie isolée dans les rocheuses et il le savait. Par contre, n'était-ce pas ce que n'importe quel père ferait pour que sa fille reste saine et sauve, à l'abri du danger qui pourrait rôder n'importe où ? Il ne lui restait plus que Lune, quelque part dans le ciel, en qui il espérait trouver une lumière pour éclairer ses idées. Cela devait faire à peine quelques temps que Denver était parti réfléchir sur ses tourments que, déjà, il repéra un signe d'agitation sur le territoire. Entraînant ses puissantes pattes dans un élan précipité, il accourut vers les frontières encore proches. Encerclé par plusieurs loups très costauds qui le menaçaient avec leurs crocs et leurs grognements furieux, un clandestin téméraire avait tenté de s'introduire sur des terres inconnues. Apparemment, il n'avait pas idée des conséquences graves qui lui seraient infligées pour avoir désobéit à la règle. Bien au contraire, il les connaissait, mais il n'avait jamais été confronté à une sentence capable de venir à bout de lui. Lorsque l'alpha se présenta enfin à l'inconnu dans sa menaçante musculature, le vent léger ébouriffant son épaisse fourrure grise et jouant sur les traits de son visage sévère, rendant son regard autoritaire des plus tranchants, l'étranger n'eut d'autres choix que de le laisser observer attentivement sa stature de guerrier et ses nombreuses balafres sur le flanc. Néanmoins, cela ne le rendait pas plus vulnérable pour autant. Il en paraissait même davantage fort et fier. Semblait-il aussi qu'il y avait une lueur d'arrogance dans ses iris violacées. Avant de se lancer dans une lutte féroce et sans pitié, le chef de meute interrogea le hors-la-loi sur sa venue engagée d'un pas si sûr. Ce dernier secoua doucement son pelage brun moucheté de noir avant de prendre une allure décontractée. - Je suis venu pour négocier un accord, dit-il sur un ton posé. À ce genre de réponse, Denver aurait très bien pu chasser l'intrus sans prolonger la conversation. Ça n'aurait servi à rien d'essayer de négocier. Cependant, pour une raison qui lui échappa, ou simple intuition, il accepta de prendre le risque. - Lequel ? insista le grand loup gris. Glissant un regard distrait en direction de la belle louve blanche, au loin, qui le dévisageait avec des yeux méfiants, Chester fit mine de répondre. - Ça fait longtemps que je la regarde depuis les montagnes, ajouta-t-il avec un regard mystérieux. J'aimerais qu'elle soit ma compagne et je la protégerai. Frustré que ce sale effronté ose ainsi poser les yeux sur Adella, Denver prononça son désaccord d'un grognement très agressif. Malgré cet avertissement pourtant bien clair, Chester conserva une certaine détermination. - Dommage, dit-il pour laisser croire la déception. Mais ne vous en faites pas, je l'aurai un jour ou l'autre. Sur ces mots, il s'en alla.