Chapitre 9

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En conducteur de travaux passionné, Yves avait déjà imaginé cette construction le jour même de la découverte du site. Comme tous les naufragés il se morfondait, alors bâtir cet immeuble troglodyte devint sa raison d'être. Un jour qu'il traînait son désœuvrement à proximité de la falaise, il découvrit une carrière de roches parfaites pour ériger les murs extérieurs et de l'argile en quantité suffisante, sur une des rives du lac pour les sceller.

Les matériaux de construction étaient à portée de main.

A présent il était heureux, son projet était en voie de réalisation et l'organisation du travail parfaitement maîtrisée. Les futurs résidents travaillaient à un rythme régulier, changeant de poste dès que les besoins s'en faisaient sentir. Avec l'aide des taureaux de Nicolas, une équipe acheminait les pierres sur le chantier pendant qu'une autre amenait l'argile pour que les deux autres équipes, puissent sceller ces pierres entre-elles. En peu de temps ils réalisèrent un tour de force en installant au rez-de-chaussée de cet immeuble, une clinique fonctionnelle et lumineuse, ainsi qu'une grande cuisine-réfectoire avec un salon équipé de plusieurs cheminées.

Pour jouir de tout ce confort, ils employèrent une grande partie du chargement que le Pacifique acheminait vers la Guyane. Cette cargaison était destinée à la construction d'une école, une coopérative agricole et une petite clinique, mais puisque le contenu des cales était perdu à tout jamais pour cause du naufrage... ils se devaient de le récupérer et d'en faire bon usage.

Du coup cette construction n'avait plus rien à voir avec l'installation sommaire des premières cavernes, mais ressemblait bel et bien à un immeuble traditionnel. Ces bâtisseurs émerveillés, posèrent de nombreuses portes et fenêtres pour isoler leur demeure et lui donner la clarté indispensable au bien-être de tous. Les futurs résidents admiraient souvent leur création, pourtant les travaux n'étaient pas terminés loin de là. Il restait encore l'aménagement des logements personnels qu'ils voulaient confortables, mais cela allait prendre beaucoup de temps, cependant emportés par leur enthousiasme, ils étaient prêts. Ces travaux les occupaient tellement, qu'ils ne pensaient plus aux secours et ils s'émerveillaient chaque jour un peu plus, devant la tournure élégante que prenaient les futurs foyers et en avaient oubliés les jeunes gens partis en expédition. Pourtant lorsque la première équipe revint, ces bâtisseurs laissèrent exploser leur joie.

Les survivants libérèrent d'un seul coup tous leurs espoirs refoulés et sans exception, ils stoppèrent leur activité pour courir vers les explorateurs. Ils étaient confiants et joyeux, mais lorsqu'ils accueillirent les trois jeunes gens revenant seuls de cette mission et aussi mal en point, ils comprirent qu'il n'y avait personne dans les environs. Ils étaient seuls sur ce bout de terre et le monde s'écroula d'un seul coup à leurs pieds. Les jeunes expliquèrent qu'ils n'avaient pas trouvé d'habitants sur les deux-cents kilomètres de l'aller et retour de leur expédition. Tous étaient accablés et personne ne put articuler le moindre mot, leur souffrance était trop grande. Hugues et Alexis arrivèrent en courant et se frayèrent un passage entre ces hommes et ces femmes dévastés. Un silence pesant avait envahi l'esplanade. Effrayés par l'état dans lequel les jeunes gens rentraient, les deux responsables les conduisirent aussitôt à la clinique.

Dans cet océan de désespoir qui les submergea subitement, ces hommes et ces femmes exaltés et joyeux quelques heures plus tôt, redevinrent des naufragés effondrés, incapables de raisonner. Les jeunes gens avaient mis leur vie en danger pour trouver les habitants susceptibles de les aider à rentrer chez eux. Seulement il n'y avait pas d'habitants, cette terre était visiblement déserte. Alors le dos courbé sous le poids de la déception, les naufragés retournèrent sur le chantier. Les plus optimistes rassurèrent les autres en affirmant que, puisque la deuxième équipe n'était pas rentrée, tous les espoirs étaient encore permis, il fallait juste y croire. Le lendemain et les jours suivants ils reprirent leurs occupations, mais le travail n'avança plus aussi vite, car les bâtisseurs passaient le plus clair de leur temps, à surveiller le retour de la deuxième équipe.

Voyages hors du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant