Le goût d'une morsure : La Marque

Chapitre 19 - Faire partie du camp des gros durs qui n'avaient peur de rien

Les derniers vestiges du soleil couchant disparaissaient à l'horizon, les teintes cuivrées laissant place à un violet poussiéreux. Même les ombres étaient maintenant englouties par l'obscurité envahissante. Dans l'opacité croissante, les étoiles et la lune brillaient dans le ciel, comme pour nous rappeler que même dans les ténèbres, il y avait de la lumière. Les moustiques étaient sortis, la chair de poule recouvrait mes bras à cause du froid du soir, les arbustes verts maintenant presque noirs, silhouettés, les couleurs atténuées, comme s'ils avaient été vidés par une main invisible, comme si les artistes avaient changé la palette. La journée avait défilé si rapidement que je ne m'étais pas aperçus qu'elle se terminait déjà.

À défaut d'avoir trouvé du bois sec, Oscar utilisait du papier journal qu'il avait ramené par prévention. Je le remerciais de nous apporter un peu de chaleur dans la nuit froide qui s'annonçait. Un feu crépitait au milieu du cercle que nous avions formé, projetant de longues ombres sur les alentours. La lumière, émanée par les flammes, dansait à travers les troncs sombres des arbres, se tordant et s'enroulant dans des formes obscures et fournissant un petit rayon de lumière.

Le feu lui-même pulsait, les braises incandescentes semblaient se déplacer en rythme avec les flammes, correspondant à chaque immersion et chaque balayage. C'était fascinant à regarder, les couleurs orange et rouge ont cédé la place au jaune et au blanc près du centre, où la chaleur s'exhalant était la plus grande. Sur de longues tiges de fer se suspendaient des morceaux de viandes dont le gras commençait à pétiller.

Nous avions repris nos places de ce midi, à la différence que Holly se trouvait désormais à côté de moi, délaissant Lane sur son pauvre tronc désagrégé. Était-ce un crime d'éprouver de la satisfaction en le voyant fondre d'ennui en retournant inlassablement la viande comme seule source de distraction ?

Holly me donna un petit coup de coude et se pencha vers moi pour murmurer :

— Ils ont l'air de bien s'entendre Oscar et Sia, tu ne trouves pas ?

Je suivis son regard jusqu'au petit duo enlacé dans les bras l'un de l'autre. Il devait sûrement se susurrer des mots doux ridicules, car Sia rigolait comme une hyène.

— Je pensais que Sia ne s'entendait avec personne.

— Ce n'est pas complètement faux, elle n'est pas très avenante, admit Holly en se pinçant les lèvres. Mais une fois qu'on la connaît, on apprend à l'apprécier.

Je m'en convainquais difficilement, le jour où elle et moi pourrions envisager un semblant de relation amicale me paraissait lointain. Elle se montrait si hostile que j'avais l'impression d'être en présence d'un mur. J'étais une personne assez ouverte d'esprit, je lui laissais une seconde chance.

— Lane, tu pourrais nous chanter une chanson ? demanda Madison, le sourire aux lèvres. Ton père nous a tellement vanté tes talents de musicien !

Lui, chanteur ? Mince, j'aurais parié sur Oscar. Son style vestimentaire m'induisait en erreur.

— Je dois m'occuper de la cuisson, refusa Lane en secouant la tête.

— Archie peut s'en occuper. Allez, s'il te plaît, le supplia Madison en faisant ses yeux de chiens battus.

— Lane, fait pas ton désiré, lança Joey.

Les mains en l'air, Lane abdiqua. Il se leva pour partir en direction de sa tente et revint la minute d'après une guitare en main. Des stickers recouvraient le bois brun de l'instrument, représentant des groupes de différents registres musicaux.

Il étendit une jambe et posa son outil sur sa cuisse remontée. Il me faisait penser à ses hippies qui voyageaient dans leur Combi Volkswagen sans rater une occasion de jouer autour d'un feu. Lane se racla la gorge avant de gratter la guitare sur laquelle la lune se reflétait. Il tordait ses doigts dans toutes sortes de formes étranges pour former des accords autour de la touche en bois d'érable et une ou deux fois, glissait sa main sur les frettes les plus hautes. Je reconnus dès les premières notes Needle in the hay d'Elliott Smith et je sus aussitôt que j'allais apprécier le morceau. L'âme de musicien de mon père me la jouait sans arrêt, c'était l'une de ses préférées.