Chapitre 1 : L'ombre

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Lorsqu’Ewald se réveilla, il était dans sa chambre, installé dans son lit, mais il transpirait. Le reflet apaisant du soleil levant sur les murs blancs le ramena à la réalité.

-          « Encore le même cauchemar, se dit-il, désespéré, il faut que j’en parle à Lena »

Cela faisait plusieurs mois, depuis son dix-huitième anniversaire, qu’il avait le même rêve chaque nuit. Cela lui semblait être comme une vision, mais il ne savait pas l’expliquer. Il n’en avait parlé qu’à Lena, sa meilleure amie. Ils étaient tous deux orphelins, et vivaient ainsi dans le même orphelinat d’une petite ville. Depuis qu’ils étaient enfants, ils avaient grandi ensemble, et avaient toujours eu une complicité inexplicable. Leur lien était si fort qu’ils se racontaient tout jusque dans les moindres détails. Il sortit donc de sa chambre pour rejoindre Lena, déjà réveillée, qui l’attendait dans la salle commune pour le petit déjeuner.

-          « Alors champion, comment vas-tu aujourd’hui ?

-          J’ai encore fait le même cauchemar…

-          J’ai l’impression que ça ne s’arrêtera jamais. Tu as réussi à atteindre la porte cette fois ?

-          Oui, mais je n’ai rien pu distinguer à l’intérieur à part un objet rond.

-          Un objet rond ? Tu n’as pas encore plus flou au cas où ? dit-elle d’un air taquin »

Ewald fixa les yeux d’un vert émeraude de la jeune fille brune avant de lui répondre :

-          « Ce n’est pas drôle, je ne comprends pas ce qu’il m’arrive…

-          Si on ne peut même plus rigoler … Je pense qu’on devrait simplement essayer de trouver le lieu dont tu rêves et on s’y rendra après. Dans le meilleur des cas on y trouvera quelque chose, et dans le pire des cas on aura marché pour rien !

-          Tu en connais beaucoup des bâtiments abandonnés dans le coin ? répondit ironiquement Ewald

-          Maintenant que tu en parles… je ne vois que l’ancienne bibliothèque qui est vers la vieille entrée de la ville, répondit Lena, sceptique

-          Tu es géniale Lena, allons jeter un coup d’œil, s’exclama-t-il

-          Je sais, tu me le dis souvent !

-          Bon allez suis moi au lieu de t’envoyer des fleurs ! »

Les deux amis se mirent donc en route, en direction de la bibliothèque, un bâtiment abandonné il y a de nombreuses années à cause de la mort subite inexpliquée de plusieurs employés. Les rumeurs parlaient de forces surnaturelles et de fantômes, et plus personne n’avait osé s’approcher de nouveau. Et pour cause, les façades étaient abîmées, la nature ayant repris ses droits sur la pierre, et ce qu’il restait des fenêtres sales reflétait un intérieur sombre qui laissait croire à une maison hantée. Des herbes folles remplaçaient ce qui avait dû être un sublime parterre de fleurs auparavant. C’est en tous cas l’impression qu’Ewald et Lena eurent en arrivant. Ils se trouvaient devant la porte d’entrée en bois, et celle-ci s’ouvrit sans offrir aucune résistance dans un grincement inquiétant. Ils avancèrent ainsi dans l’ancien hall, une pièce vaste où se trouvaient un bureau d’accueil, des escaliers pour accéder aux étages supérieurs et, à leur grande surprise, une statue inquiétante sculptée dans le bois recouverte de poussière et de toiles d’araignées. Elle représentait une créature difforme qui tentait de s’emparer d’un orbe tenu par un homme, mais celui-ci la repoussait. En voyant cette scène, Ewald eut froid dans le dos, car il lui sembla voir la créature bouger.

-          « Ce n’est qu’une illusion due à la peur, se dit-il 

-          Cette statue me donne des frissons ! s’exclama Lena

-          A moi aussi ne t’en fais pas ! Mais cet orbe m’intrigue, je vais me rapprocher pour le voir de plus près, répondit-il

-          Bonne idée ! Moi je vais te regarder faire si ça ne te gêne pas ! »

Ewald s’approcha donc de cet objet qui l’intriguait tant. Une fois arrivé à sa hauteur, il sentit comme une voix lui murmurer :

-          « Fuis…Je ne pourrai pas te cacher plus longtemps, fuis ! »

Ewald tomba au sol, sous le choc, il ne comprenait pas ce qu’il se passait. C’était comme si l’homme de la statue essayait de communiquer avec lui, c’était impossible ! Et de qui aurait-il besoin de se cacher de toute façon, qui devait-il craindre ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête quand la voix tremblante de Lena l’interrompit dans ses réflexions :

-          « E-Ew-Ewald r-re-re-relève-t-toi… »

Lorsqu’il releva la tête, il n’en crut pas ses yeux. Le bois qui recouvrait l’homme sur la statue laissait place à de la chair, la scène qui semblait figée dans le temps reprenait vie sous leurs yeux. Une odeur fétide envahissait la salle au fur et à mesure que la créature s’animait. Elle était réelle, et était en tous points différente de sa représentation. Elle semblait immatérielle, recouverte d’une cape d’ombre ténébreuse, et sa simple présence était oppressante. Sous son voile noir, un vide profond lui faisait office de visage, tandis que des griffes acérées et mortelles semblaient apparaître. Lorsqu’elle fut totalement débarrassée du bois qui la maintenait au stade d’inertie, elle poussa un hurlement inhumain, si strident qu’Ewald crut que ses tympans étaient définitivement détruits. Cela  l’obligea à se recroqueviller sur lui-même, et il entraperçu Lena qui avait perdu connaissance. Ce son pénétrait jusqu’au plus profond de son être et semblait vouloir le détruire entièrement. Dans son agonie, il vit pourtant l’homme combattre le monstre, esquivant un à un les coups de griffes qui lui auraient été fatal. Mais dans un faux mouvement, il glissa et s’évanouit, laissant tomber l’orbe qu’il tenait en main. Celle-ci roula jusqu’à Ewald. L’infâme créature vint alors dans sa direction comme par automatisme, ses griffes prêtes à le trancher en morceaux. Alors qu’Ewald ne pouvait pas bouger un pouce à cause de la douleur, et pensant qu’il allait mourir, il sentit une force inconnue s’emparer de lui, et il entendit clairement la voix qui résonnait avec force dans sa tête :

-          « Sers-toi de mon pouvoir, élu ! »

Ewald se saisit alors de ce mystérieux artefact, et il se releva en le tenant au creux de sa main gauche. Il pouvait sentir le pouvoir couler dans ses veines, ses sens étaient plus affûtés que jamais, et il sentait sa force décupler. Sans vraiment savoir pourquoi, il savait qu’il pouvait vaincre le monstre qui lui faisait face, comme s’il en avait toujours été capable. Celle-ci se rapprochait lentement, mais lui ne bougeait pas d’un seul millimètre. Il la fixait, scrutant le moindre de ses mouvements, prêt à bondir. La tension était palpable, et elle atteint son apogée au moment où l’ombre fondit sur Ewald, ses griffes mortelles en avant, prêtes à lui arracher la vie. Mais à l’instant où elles frappèrent, il se baissa par réflexe, et esquiva le coup de grâce. La créature ténébreuse continua son assaut par d’autres coups, mais aucun n’atteignirent leur cible. Ewald était comme le vent, léger, évasif, libre. Alors qu’il prenait confiance en lui, il tenta de frapper la créature, mais, à sa plus grande surprise, il passa à travers. L’ombre profita de cette erreur pour planter ses griffes dans son dos. Il les sentit pénétrer sa peau et arracher sa chair, et il cria de douleur. Alors qu’il perdait connaissance, les dernières paroles qu’il entendit avant de s’écrouler furent : 

-          «  Potrasnat »

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