Chapitre 3 La mallette pédagogique

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Le prof me regarde plus particulièrement ? Ou est-ce est ce que je me fais des idées ? Je me sens frissonner. Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression que tout le monde l'entend.

- Donc, vous allez lister et trier les moyens de contraception par mode d'action, facilité d'utilisation et tous autres critères que vous choisirez et justifierez bien sûr. Tout ça en illustrant vos propos de diagrammes, photos ou schémas de votre convenance. Nous allons travailler en binôme comme d'habitude. Vous me rendrez le...

Banning continue son discours en passant dans nos rangs et distribue à chacun une petite mallette étiquetée « mallette pédagogique. Moyens de contraception ». Banning adore le travail en binôme. Il fait des binômes « fille/garçon » pour nous stimuler dit-il. Et mon binôme habituel, lui, va parler de contraception avec la dinde. Alors que je suis coincée avec Jack Boselli.

Vibration sur mes genoux. Je regarde en douce.

Pia : « Maddie il te regarde encore. »

Maddie : « Grand bien lui fasse »

- À qui tu parles ? Banning va te voir et tu vas te faire choper ! chuchote Jack aussi discret que le rouge à lèvres de Kim Kardashian.

- La ferme, Jack, ça ne te regarde pas. À moins que t'aies peur de finir le travail tout seul ?

Je suis énervée. Ma situation m'énerve. Le sujet du cours m'énerve et Pia puis Jack m'agacent. Tant pis pour Jack !

- J'disais ça pour toi. Si ça te plaît pas ! Rien à faire !

Vexé, il se retourne et fait mine de fouiller dans la mallette, regardant l'emballage vide d'un préservatif comme s'il n'en avait jamais lu le mode d'emploi. Ce qui doit être le cas.

Les moqueries dans la classe augmentent au fur et à mesure que les mallettes font l'objet de minutieuses inspections. Je regarde mes camarades. Rarement un objet de TP  n'a été le fruit d'autant d'attention. Si je n'avais pas autant envie de vomir, je rirais face à l'ironie de la situation.

- Moi je refuse de prendre la pilule, minaude Jessie à voix suffisamment forte à son « partenaire » afin que la classe en profite. Il faudra qu'il utilise un préservatif.

Je connais comme tout le monde, la réputation de Jessie et pouffe avec amertume en moi-même, mais Tyler Croft n'hésite pas à lui balancer sans complexes :

- Il faudra qu'il soit barjot le type qui accepterait de sortir non couvert avec toi !

La classe explose de rire et Jessie hausse les épaules genre, « princesse que la bave de crapaud n'atteint pas » et la bretelle de son débardeur glisse négligemment sur son épaule, dévoilant quelques centimètres de plus de sa poitrine. Je suis certaine qu'elle s'est entraînée à faire ce geste devant son miroir depuis la maternelle. Un débardeur en novembre dans l'état de Washington! Je me sens maintenant bouillir. Je dois avoir de la fièvre. Si Cameron la regarde une fois de trop, je vais exploser.

- Monsieur Banning ! Monsieur !

Il n'y a pas moyen d'être tranquille avec ses pensées dans cette classe ! Les hurlements de Mark, un autre joyeux luron de la classe, pour attirer l'attention, sont ridicules. Il a ouvert un emballage et sort un préservatif qu'il balance victorieusement du bout des doigts devant lui d'un air dubitatif. Banning stoppe ses allées et venues et se tourne vers lui :

- Monsieur Hunting, je vous ai vu et  même entendu. Je ne suis pas encore sourd malgré mon grand âge. Vous avez un problème ?

- Ben oui. 

Il fait une pause et  une grimace que je trouverai comique si  ce cours ne m'agaçait pas fortement. 

- Oui ? 

Banning l'incite dun mouvement de la tête à poursuivre .

- Vos trucs là, ils sont trop... petits.

Je grimace alors que les trois quarts de la classe éclatent de rire.

Pia : « Mark fait son show !  Il est doué. »

Pia : « Pourquoi tu parles plus à Cam ? »

C'est le harcèlement version Pia. Même si je ne réponds pas à ses messages, elle va continuer son manège. Il était en vacances à Chicago. Moi à Dungeness. Donc je pouvais pas lui parler. Ca se tient comme raisonnement non ?

Mauvaise foi. Les SMS  ça existe et depuis lundi, tu ne lui adresses plus la parole.

Je fais taire ma voix intérieure. Il n'avait qu'à m'appeler ou m'envoyer des messages. Je me débrouille seule depuis 15 jours avec ma peur et ma culpabilité. Je ne vais pas parler de ça à Pia.

Pia : « POURQUOI ? »

Je  craque et pianote avec discrétion  sur mon téléphone.

Maddie : « Plus tard Pia »

Quand les rires se calment, M Banning, qui a attendu patiemment, reprend la parole, et je cache mon portable sous ma veste bleue.

- Monsieur Hunting,  vous pouvez croire  que vos craintes soient fondées, mais je vais devoir vous rassurer. Suivez-moi !

Sous les quolibets, je regarde distraitement Mark suivre le prof vers l'estrade, il se demande sûrement ce que Banning lui a concocté. Et semble légèrement inquiet. Bien fait !

Je me frotte les tempes. J'ai mal à la tête et je suis épuisée. Je ne dors plus depuis 3 jours. Toutes les conneries de mes camarades ne me font plus rire. J'ai autre chose en tête. Je ne vais pas pouvoir différer ceci jusqu'à ce soir.

C'est comme une... révélation : je dois être sûre. MAINTENANT ! Je ne peux plus attendre.

Je lève le doigt quand le prof repasse près de moi.

- Monsieur Banning ?

Il s'arrête devant ma paillasse.

- Oui ?

- Puis-je aller aux toilettes ?

Je déteste le ton quasi suppliant que j'ai eu pour faire cette demande. Il me regarde sans mot dire. Il déteste laisser les élèves sortir de cours, mais je sais que comme je ne demande jamais, j'ai une chance.

- J'ai besoin de me rafraîchir, je ne me sens pas très bien.

J'ajoute ceci pour faire pencher la balance de mon côté.

- En effet, vous êtes extrêmement pâle, mademoiselle Parks. Allez-y. Vous souhaitez qu'on vous accompagne ? Qui est le délégué ?

Cameron. Ah NON ! Je panique et remue la tête avec force.

- Non, monsieur. C'est euh... un problème féminin. Tout ira bien.

Si seulement !!

Mais rien de tel que cette excuse pour que les profs nous fichent la paix. Même (et surtout) les profs de bio.

- Bien. Mais faites vite.

3 minutes chrono  me suffisent . Plus 2 pour l'aller et retour et 1 pour pleurer de peur ou de soulagement. J'esquisse un sourire crispé.

- Merci.

Je glisse mon téléphone dans mon jean dès qu'il a le dos tourné et sors sentant dans mon dos  les regards interrogateurs de Pia et de Cameron.

°• Quand la théorie ne suffit pas •°Où les histoires vivent. Découvrez maintenant