Chapitre 16 Douleurs

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Je me recroqueville dans le lit aux draps de coton mauves. Je ferme les yeux très fort, priant pour que cette chambre aux murs pastel disparaisse comme dans les contes de mon enfance.

Mais ces contes sont loin et les murs vert anis et bleu layette ne s'effacent pas. L'aide-soignante qui m'a reçue à l'hôpital il y a quelques heures, m'a signifié de rentrer chez moi et de rester allongée au calme. Comme si je pouvais avoir envie de faire des pompes ou de danser sur Sexy Back à ce moment-là.

Il fait nuit. J'ai mal. Je suis mal. Mes genoux touchent ma poitrine sensible et je me crispe en sentant une contraction monter en moi. Je serre les dents. Encore une fois.

Et puis, il est là. Je tourne le dos à la porte de la chambre, mais je sais qu'il vient de rentrer. Il a escaladé l'arbre comme il le fait souvent. Je reconnais...sa présence et son silence. Il doit être furieux contre moi.

Je refuse de le voir, d'affronter sa colère, et comme une enfant, je reste tournée vers le mur, fixant une minuscule lézarde dans la peinture. Le spasme reprend et mes yeux se ferment.

Cameron ne dit pas un mot, mais lorsque je ne suis plus concentrée sur cette douleur refluant enfin dans mon abdomen, je le sens devant moi. Son parfum flotte dans l'air. Son souffle frôle ma joue. J'ouvre les yeux sans réfléchir et noie instantanément mon regard dans les prunelles vertes si proches. Il est à genoux à mon chevet. En un instant, je note qu'il a les cheveux humides, comme s'il sortait de la douche, sa veste bleue ouverte ne cache pas son éternel tee-shirt gris dont j'ai envie de retrouver l'odeur. Sa main est devant moi, sur le drap blanc. Juste posée près de mes genoux. Je remonte avec appréhension mon regard vers son visage.

La tristesse et la compassion sont les seules émotions que je parviens à déchiffrer   dans les yeux attentifs de Cameron. La colère que je craignais est inexistante.

- Hello, dis-je d'une petite voix qui me fait enrager. Je refuse d'être la pleurnicheuse de service.

- Bonjour ma belle, ça n'a pas l'air d'être la forme.

- On peut dire cela. Mais ça passera a dit le médecin.

Un lourd silence plombe la chambre. Oui ça passera.

Je referme les yeux. Le regarder est trop difficile. Je voudrais qu'il fasse une crise de colère, qu'il m'insulte, qu'il me dise mes quatre vérités. Je le mérite.

Je suis là, sur mon lit en train de souffrir pour expulser de moi le... l'embryon que nous avons conçu. Je suis là, sans même avoir eu le courage de lui dire. J'ai pris une décision et je la lui ai imposée. Je soupire. La fatigue m'assomme. Je veux juste être seule. Cela fait plusieurs heures que j'ai pris les hormones que l'infirmière m'a données ce matin. Elles sont efficaces.

- Maddie. Je ne veux pas que tu sois seule, murmure-t-il comme en écho à mes pensées.

Il est tout près de moi et son souffle caresse ma peau. Il ne me touche pas, mais sa présence m'enveloppe et me protège. J'ai honte.

Je lui ai caché mon rendez-vous il y a deux jours. Je lui ai caché que je venais ici. Pourtant il est là. Il avait changé les derniers jours. Depuis le rendez-vous chez le médecin, même un peu avant, il ne cherche plus à me convaincre de garder le bébé. Je pense qu'il a compris mon point de vue, cependant je devine qu'au fond de lui, il aurait voulu connaître et aimer ce bébé. Cameron est plus « adulte » que moi. Plus fort. Il aurait pu élever cet enfant que je n'aurais jamais. Que nous n'aurons jamais.

Je ne veux pas ouvrir les yeux. Je sais que mes joues sont couvertes de larmes.

- Maddie ? Parle-moi ! Dis-moi que tu ne m'en veux pas.

Le gémissement qui m'échappe est un mélange de douleur et de colère contre moi. Il a peur que je lui en veuille ?

J'attends un peu que la contraction se calme avant de décrisper mes mâchoires.

- Je... je ne t'en veux pas.

Articuler ces quelques mots est compliqué. Comme si je n'étais pas sincère. De quoi lui en voudrais-je ? De m'avoir mis dans cette situation ? C'est ridicule. Nous avons tous les deux fait l'amour. Tous les deux oublié d'utiliser un préservatif. Alors pourquoi ai-je ce pincement dans le cœur quand je regarde Cameron ?

Il se penche un peu plus de moi et sa main effleure ma joue, essuyant doucement mes larmes.

- Je vais rester avec toi si tu le permets. J'ai envie d'être avec toi.

J'opine de la tête et me concentre sur la contraction montant dans mon abdomen. C'est mon corps entier qui se rebelle, qui refuse.

Il s'allonge doucement sur le lit derrière moi. Sa main vogue sur mon bras en de longs et lents effleurements. Son souffle dans mon cou épouse le rythme de ma respiration et la calme.

Pendant de longues minutes, nous ne disons rien. Ses doigts caressent doucement mes cheveux. C'est apaisant et j'ai l'impression d'être moins malade physiquement. Sous le toucher léger de sa main, mon corps semble enfin accepter d'avoir perdu le combat.

Cependant une méchante colère monte en moi. Je n'ai pas le droit d'en vouloir à Cameron. C'est un type bien. Peu de garçons seraient là à aider leur copine qui avorte. Lui il accepte tout et il veut m'aider.

Peut-être est-ce justement sa présence qui me pèse ? Qui me culpabilise encore plus ?

A-t-il le droit de partager mon fardeau ? Est-ce que je mérite d'être aidée ?

Je suis lâche. Je n'ai même pas essayé de garder cet enfant. Peut-être que...

Je soupire, je voudrais trouver une autre solution. Mais c'est trop tard. Cela fait deux jours qu'il est trop tard, depuis que j'ai mis ce comprimé sur ma langue et avalé le verre d'eau tendu par le médecin, je ne peux plus revenir en arrière. Même si je le souhaitais.

Je serai seule. Toujours.

Mon bébé ne grandira jamais.

De nouvelles larmes silencieuses s'échappent tandis qu'un espoir de vie disparaît en moi et s'écoule hors de mon corps. Je voudrais mourir aussi d'avoir décidé cela. Les idées qui tourbillonnent dans ma tête m'entraînent trop loin. Je ne sais plus ce que je veux et ce que je ne veux pas. J'ai l'impression de me perdre. Je suis si fatiguée.

Ma main gauche saisit alors celle de Cameron sur le drap et la serre très fort tandis qu'un énième spasme me dévore le ventre. Cameron est là, comme une ancre solide sur laquelle je peux compter.

Ainsi retenue, dans une solide réalité, je me laisse couler dans un sommeil perturbé.

Sous le drap, mon autre main garde serré, caché, un petit papier bleu qui ne me quitte plus depuis trois jours, depuis que j'ai griffonné ces quelques lignes pour lui dire adieu.

-xxx-

Jamais je ne te verrai. Jamais je ne respirerai ton parfum de bébé et jamais je ne me demanderai ce que tu fais quand je ne suis pas avec toi. Parce que je t'aime déjà trop, j'ai pris la décision qui sera la plus dure de toute mon existence : Celle de ne pas te laisser venir au monde.

Cela me déchire aujourd'hui et quelle que soit ma vie plus tard, cela restera, « tu » resteras mon regret et ma blessure la plus profonde.

Je t'aimerai toujours. 

°• Quand la théorie ne suffit pas •°Où les histoires vivent. Découvrez maintenant