Chapitre 15 - Culpabilité

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- Dix jours plus tard il faudra faire une échographie de contrôle pour s'assurer que la grossesse est bien achevée. Vous avez compris, mademoiselle ?

Je voudrais ne rien entendre. Les mots du médecin pénètrent dans ma tête et en ressortent immédiatement. Horribles. Sanglants. Définitifs. Meurtriers. Je dois être plus blanche que le voile de mariée de maman mais ce n'est pas le pire. J'ai l'impression que quelque chose en moi rejette les paroles du médecin. Il attend une réponse, je le sens. Laquelle. Mes lèvres s'ouvrent et laissent tomber quelques syllabes qui doivent le satisfaire.

- Oui, Docteur.

- Bien. Maintenant passons à autre chose.

Je dois écouter encore. Alors que je n'ai qu'une envie : m'enfuir d'ici. Mais Cameron et sa mère m'accompagnent et j'ai honte de ne pas aller jusqu'au bout de ce rendez-vous insupportable. Seul le contact avec lui, que j'agrippe de toutes mes forces me permet de rester assise, apparemment tranquille sur cette chaise. Le médecin indifférent à nous continue son laïus.

-Je ne suis pas là pour vous juger ou vous faire changer d'avis mais je dois entendre les raisons qui vous poussent à ne pas mener à terme votre grossesse. C'est la loi. Je dois vérifier que vous ne subissez pas de pression

Il jette un oeil fortement soupçonneux sur Cameron et sa mère qui restent stoïques. Je suis cet échange furtif d'abord sans comprendre tellement cela n'a pas de sens pour moi. Le médecin pense que Cam me force à ...avorter. Je retiens un fou rire nerveux. Certes depuis dix jours, il est moins...insistant pour que je poursuive ma grossesse mais dans chaque regard qu'il pose sur moi, sur mon ventre plat à chaque fois qu'il crois que je ne le vois pas, je lis son désir et je culpabilise. Cameron veut ce bébé. C'est clair. Et il l'a annoncé à sa mère.

Quand il me l'a dit j'ai failli m'évanouir. Jamais. Jamais je ne pourrais annoncer cela à papa. Je l'aime il m'aime... mais ça... Je secoue la tête. Le médecin attend ma réponse. Quoi déjà ? Je fronce les sourcils. Ah oui. Une pression.

Je souffle doucement. Par où commencer à expliquer quand on est pas sûre de soi ?

- Je... J'ai 17 ans. Je ne sais pas si c'est une explication mais je suis trop jeune. Je me sens trop jeune. J'ai des envies...Je veux être écrivain. Enfin j'en rêve.

Je hausse les épaules avant de poursuivre.Mes raisons sont égoïstes, je m'en rends compte. Totalement égoïstes.

- Pour cela je dois vivre ma vie. Cameron, lui, veut devenir avocat. Il le peut ! Il est brillant. Il rentrera sans problème dans une des universités de l'Ivy League. Je ne peux m'entraver, et l'entraîner avec moi. Un enfant c'est une ... une responsabilité. Il faut être prêt. Ferme sur ces deux jambes et dans son couple aussi.

Comment les convaincre ? Comment le convaincre. Je regarde Cameron.

- Nous sommes jeunes. Des filles, des femmes y arrivent seules ou accompagnées. D'autres non. Ma mère était jeune. Très jeune quand je suis arrivée. Trop jeune m'a-t-elle dit souvent.

Elle m'a toujours dit qu'elle était heureuse de ma naissance, de mon existence, que j'étais le trésor de sa vie. Mais je sais que les dix ans qu'elle a vécu avec Papa étaient une erreur, un sacrifice. Pour moi.

- Elle avait raison. Parfois je me demande si je n'ai pas plus grandi que ma mère. Je ne veux pas reproduire ses erreurs : construire un couple autour d'un bébé. Non, je ne peux pas.

Je me tais et dans le silence qui emplit la pièce, je sens que j'ai blessé Cam. Je... l'aime, je suis amoureuse de lui depuis si longtemps mais notre histoire. La nôtre n'existe pas encore elle n'est qu'un petit embryon encore plus fragile que celui qui est en moi et je ne sais lequel privilégier.

Madame Myers m'embrasse sur la joue tendrement. j'ai surement blessé son fils et elle m'embrasse ? Je suis totalement perdue. Je la connais très peu et elle semble pourtant accepter cette situation horrible dans laquelle son fils et moi nous sommes mises.

- Bon, je crois que j'ai entendu votre position.

Le docteur nous regarde tous les trois sans rien ajouter. Il semble réfléchir un peu et complète le formulaire placé devant lui. Je me demande quelles sont ses options.

Jeune femme responsable . Doit avorter

Jeune femme irresponsable. Doit avorter

Jeune femme responsable. Avortement impossible.

Jeune femme irresponsable . Avortement impossible.

Dans quelle "case" m'a t-il placée ? Je dois devenir folle.

- Vous pourrez revenir dans 7 jours si vous n'avez pas changé d'avis, Melle Parks.

C'est un feu vert ? J'ai le droit de tuer mon bébé et celui de Cameron. J'ai envie de vomir alors qu'il me félicite en me tapotant l'épaule et en nous expulsant de ce cabinet où je ne voudrais plus jamais remettre les pieds.

Heureusement en sortant Cameron m'attrape la main et m'empêche de devenir folle. Sans lui je deviendrai quoi. Tout l'énergie qui m'a permis de me lever chaque matin et de sourire à mon père assise devant lui pendant le petit déjeuner , toute cette énergie s'est dissoute dans ce cabinet médical. Seul Cam est le point d'ancrage me permettant de tenir debout.

Sa mère m'embrasse encore une fois. Cette femme est une sainte. J'adore sa tendresse et sa douce compréhension. Lorsqu'elle effleure de sa main mon ventre, je lis dans son regard le regret et j'ai l'impression que mon coeur se brise en mille morceaux.

Lorsque madame Myers est partie, je m'appuie contre lui. Tout est trop compliqué. Je me retrouve assise sur ses genoux sur un banc dans un parc. Il me murmure de douces paroles à l'oreille alors que je suis blottie contre lui. J'ai du avoir une absence. Je suis tellement bien. Je voudrais que nous ne soyons que tous les deux. Juste tous les deux. Le garçon qui me fait rêver et trembler et moi. Ses mots finissent par heurter ma conscience et je reviens à la réalité. Je ne sais pas depuis combien de temps nous sommes ici car la nuit est tombée. 

- Il y a un truc que t'as pas compris, Maddie. Je suis avec toi. Je suis là pour toi parce que j'en ai envie. On s'est mis dans cette... situation ensemble et c'est ensemble qu'on réglera le... problème.

Je l'aime tant. Je le regarde avec attention. Ses  magnifiques yeux verts vibrent d'une émotion semblable à la mienne.  Il ne ment pas. Il est là pour moi. A chaque instant et il ne me presse plus. Je secoue la tête.

- Pourquoi ? Pourquoi fais-tu cela ? Je ne comprends pas ! Tu voulais ce bébé. Qu'est ce qui t'as fait changer d'avis ?

J'ai besoin de comprendre. Peut être que ce bébé lui est indifférent ? Peut être ne ressent-il pas pour lui la même chose que moi ? Ce mélange de Cam et moi, cette combinaison de nous deux est dans mon ventre, pas dans le sien et peut-être...

- Peut-être parce que tu as raison. Je ne sais pas trop, tout se mélange dans ma tête. Mon envie irraisonnée de voir cet enfant. La peur de ne pas être à la hauteur. La crainte d'affronter les regards des autres, ceux que j'aime et qui m'aime je veux dire. Comme mon père, le tien surtout.

Il dit ces derniers mots d'un ton mi comique, mi effrayé qui me fait rire. Je pose mon front dans le creux de son cou.

- Ca c'est une bonne raison, Cameron je l'admets.

Il me caresse doucement le dos. Je suis bien. Je voudrais que cela soit toujours ainsi entre nous.

-Il y a aussi mille autres choses qui peuvent expliquer que je suis avec toi, que je change d'avis, mais la seule véritable raison c'est parce que c'est toi, Maddie. Parce que tu es plus importante pour moi que celui ou celle qui n'existe pas encore. Tes paroles, tout à l'heure, m'ont fait réfléchir. Être deux avant d'être trois c'est ... mieux. Enfin je pense. Je t'accompagnerai quelque soit ta décision.

Heureusement que mon visage est toujours caché car je pleure. Quelle fille au monde peut se vanter d'avoir comme petit ami un type aussi bien que Cam ?

- Merci Cameron. Merci d'être là pour moi. C'est très important.

Je l'embrasse doucement sur la joue. Pas sur les lèvres. Je ne le mérite pas. 

°• Quand la théorie ne suffit pas •°Où les histoires vivent. Découvrez maintenant