Texte bonus - Pour Lucy

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Il est plus de minuit quand Patrick Oh rentre dans sa luxueuse maison à Seongbuk-dong. Il a été retenu par un dîner d'affaires avec un certain nombre de ses « amis », responsables de chaînes de télévision et de radio. Plats, bouteilles d'alcool et hôtesses se sont succédé durant des heures, comme d'habitude lors de ce genre de repas au sommet.

Il dépose son portefeuille et la clé de sa Mercedes sur le plan de travail en marbre de la cuisine américaine. Il dégrafe aussi sa montre ; la Rolex en or jaune échoue près de la corbeille à fruits sur laquelle de mini-pastèques s'égaient.

La maison est plongée dans l'ombre, mais la lune est pleine cette nuit. Elle éclaire d'une lumière blanche les pièces dont les stores ne sont pas tirés — après tout, la demeure est accrochée haut à la montagne, et ils n'ont pas de vis-à-vis, seulement une vue plongeante sur Séoul.

Patrick se sert un verre d'eau fraîche, dans lequel il fait encore tomber deux glaçons. Il fait étouffant aujourd'hui ; la climatisation très forte dans le restaurant, dans la voiture, puis dans la maison, assèche l'air et sa gorge.

Il boit lentement devant la baie vitrée, par laquelle il contemple le jardin en contrebas. Le panier de basket flottant est posé sur l'herbe, la bouée en forme de licorne renversée à côté de la piscine. Les enfants ont dû passer la fin de l'après-midi et peut-être la soirée dans l'eau ; il laisse peu à peu retomber l'agitation de la journée au travail en les imaginant.

Sa boisson terminée, il place le verre à côté de l'évier, puis marche vers le couloir des chambres en déboutonnant sa chemise. Ses chaussettes ne font aucun bruit sur le parquet brillant.

Il s'arrête d'abord devant la porte de la chambre de Levi, décorée d'autocollants représentant des étoiles et des lapins dans des chapeaux. Il l'ouvre avec précaution pour ne pas réveiller son fils.

Dans son lit, le petit garçon de neuf ans dort sur le dos au milieu des lapins en peluche, la bouche ouverte. Les fils métalliques de son appareil dentaire externe font comme une clôture autour de ses joues avant de rejoindre l'élastique dans sa nuque. Patrick sait que l'enfant s'est rendu chez l'orthodontiste aujourd'hui. Le message d'Amy en début de soirée disait que cela s'était bien passé, mais que le nouveau resserrage faisait déjà souffrir Levi.

Tout en s'avançant jusqu'au chevet du garçonnet, Patrick réfléchit à la boîte de Lego qu'il va lui commander le lendemain matin pour lui changer les idées. La mini-ville qui s'étend sur la moitié de la grande chambre est déjà immense, mais il y a toujours moyen de trouver un ajout à la collection. Même si le sourire de l'enfant est à présent en cage derrière le métal, Patrick ne s'en lasse jamais.

L'homme d'affaires se penche pour ramasser la paire de lunettes à monture pailletée à moitié tombée de la table de nuit. Il la repose à côté du grand bol qui y trône depuis des années, du masque à oxygène et des multiples figurines de Harry Potter qui veillent sur le sommeil de Levi. Ce dernier s'est endormi avec sa baguette préférée à la main ; Patrick sourit à la vision. Il espère qu'à défaut de magie, Amy et lui pourront réaliser tous les souhaits les plus ardents du petit garçon. Les leurs, hélas, nul ne le peut.

Deux minutes plus tard, il retrouve le couloir inondé de lune. Tandis qu'il referme doucement la porte derrière lui, celle d'en face s'ouvre. Le visage de Lily apparaît dans l'encadrement ; la fillette se frotte un œil.
— Tu es rentré très tard, Papa...
— Je sais, ma petite fée. Je suis désolé. Mais ce week-end, je serai tout à vous, tu le sais.
Même si son agence s'écroulait un samedi ou un dimanche, il n'irait pas la sauver ; les week-ends n'appartiennent qu'à sa famille.

La fillette tend les bras vers lui. Il la soulève du sol ; le tissu vaporeux de la robe de nuit de princesse vole. Lily a toujours la légèreté d'une plume ; le cœur de Patrick se serre alors qu'il embrasse tendrement le front de l'enfant. Sa peau goûte toujours le sel, mêlé aux senteurs de fraise du gel douche qu'ils font venir de France.

— On fera quoi, ce week-end, Papa ?
— Tout ce que tu veux.
À part adopter des animaux domestiques, mais tant Lily que Levi le savent, et ils ne demandent plus depuis longtemps.
— Qu'est-ce que tu as en tête, alors ?
— J'ai envie d'aller nager dans les coraux en Australie, comme une sirène.
Patrick rit en portant sa fille vers le lit à baldaquin tendu de voiles blancs.
— En Australie pour un week-end ? C'est très loin, tu sais !
— Ce n'est pas grave ; j'ai quand même envie d'y aller.
— Hmm. Tu n'as pas envie de faire la sirène plus près d'ici ? À Jeju ?
Il dépose la fillette sur l'oreiller, entre les licornes en peluche et les poupées de La reine des neiges.
— Non, s'entête la fillette sans lâcher son cou. J'ai vu les coraux en Australie à la télé tout à l'heure, et c'est tellement beau ! C'est là que je voudrais aller samedi.

Ses yeux brillent dans la lumière orangée de la veilleuse. Au moment où elle lui sourit, ils savent tous les deux qu'elle a gagné.
— D'accord. Je verrai avec Soo-ji pour qu'elle nous réserve des tickets d'avion pour vendredi soir. On volera de nuit ; on arrivera en Australie samedi très tôt, pour pouvoir bien en profiter. Mais tu sais que c'est l'hiver là-bas pour le moment ?
— Il fait froid, alors ?
Lily a l'air déçue ; Patrick sourit pour la rassurer.
— Je pense que dans cette partie-là de l'Australie, il ne fait jamais vraiment froid. Je regarderai, mais à mon avis, ça tourne autour de vingt-cinq/trente degrés, même en hiver.
— Je pourrai mettre mon nouveau maillot avec une queue de sirène !
— Oui. On prendra plein de photos.
Pour graver tout ce qui peut l'être, désespérément.

— Tu es le meilleur, Papa, murmure la petite fille en se pelotonnant sous la couette que son père remonte vers son menton.
— J'ai beaucoup d'argent ; c'est pour ça que je peux dire oui.
— Tu l'as volé ?
Patrick rit encore.
— Non, bien sûr que non. Je travaille beaucoup, comme tu le sais.
— Alors, tu es le meilleur, confirme Lily avec son implacable logique enfantine.
L'homme d'affaires réarrange les peluches autour du corps fluet.
— Est-ce que tu seras toujours de cet avis si je te dis que maintenant, tu dois dormir ?
— Oui ! Parce que moi aussi, je veux être en forme pour l'Australie.
— Parfait. Dors bien, ma petite fée.
Un nouveau baiser, et Lily a fermé les yeux.

Patrick fait ensuite un tour dans sa salle de bain, où il prend une douche rapide : toujours, avant de retrouver la chambre conjugale. Les cheveux mouillés plaqués en arrière, une serviette éponge ceinte autour de la taille, il retrouve enfin Amy entre les draps.

L'ancien mannequin, de quatorze ans sa cadette, dort déjà. Ses longs cheveux blond vénitien sont étalés autour de son visage ; l'homme d'affaires ne se lasse pas de le contempler, que son épouse soit endormie ou éveillée. Il prend garde à ne pas faire trop bouger le matelas afin de la laisser à ses rêves, dans lesquels il espère qu'elle est en paix.




I-dolls 3rd Star⭐ Edition - Textes bonus Voie LactéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant