La nature de Roxane - tome 1 : Maudits

Chapitre 14

L'immense réfectoire était bondé à l'heure du déjeuner. Lucy nous avait suivies Sally et moi à contrecœur et avait séché ses larmes.

Chad prit place face à sa sœur et mon cœur fit une embardée. Pourquoi est-ce que je ressentais cela ? Je connaissais Chad depuis peu, et ce n'était pas un simple baiser qui allait m'émoustiller, j'étais plus difficile que cela. N'est-ce pas ?

- Salut les filles, fit-il un sourire joyeux sur les lèvres. Celui-ci se crispa lorsque ses yeux croisèrent les miens. Je ne pus masquer mon trouble et ma gêne. Je baissai les yeux sur ma tasse de sang.

- Salut, répondit Sally un peu trop joyeuse tandis que Lucy leva à peine les yeux vers son frère avec pour seules salutations un petit grognement désastreux.

Deux lasers semblaient me lacérer la nuque tandis que je m'efforçais d'avaler le contenu de mon verre. Ma peau me brûlait presque, si bien que je me résignai à tourner la tête vers la paire d'yeux. Pourtant, seul le mur me rendit mon regard.

Encore occupée à fusiller du regard la cloison beige, je sursautai lorsqu'un plateau fit trembler la table. Un jeune homme brun et au teint halé me souriait, plongeant ses yeux de bronze dans les miens. Je remarquai rapidement une moucheture dorée ornant son iris gauche tandis qu'il arborait un sourire à la fois jovial et mystérieux. Le genre de mec à faire tomber toutes les filles raides dingues de lui.

- Tu es Roxane Carter, c'est ça ? demanda-t-il d'une voix grave, coupant court à mes divagations.

Contrairement à la sienne, ma voix n'était qu'un amas de lettres et de sons qui ressemblait plus à un gargouillis qu'à une articulation vocale humaine.

- Euh... oui. C'est... c'est moi.

J'eus aussitôt honte de moi-même et mon seul souhait était de me terrer six pieds sous terre. Ou bien disparaître instantanément. Sally m'évita l'humiliation totale en demandant d'une voix mielleuse :

- De qui avons-nous l'honneur ?

Merci mille fois, je te suis redevable !

- Aaron Kade, répondit l'intéressé et tournant la tête vers ma camarade, munit d'un sourire ravageur.

Un jour, je vais mourir de honte, songeai-je.

Aaron dirigea à nouveau son regard vers moi et semblait se retenir de rire. Pourquoi me fixait-il de cette façon ? Se moquait-il de moi ? Je me sentais tellement ridicule. Je n'avais pas pour habitude de réagir de la sorte face à des inconnus. Tout au contraire, j'étais plutôt celle qui participait activement à la conversation. C'étaient sûrement tous ces chamboulements intempestifs qui avaient déréglé ma façon d'agir.

Il sembla vouloir ajouter quelque chose, mais se ravisa. Je souris bêtement, sans trop savoir quoi dire. Un coup de coude de la part de Lucy me fit redescendre sur Terre pour de bon.

- Enchantée, réussis-je enfin à prononcer.

- Tout le plaisir est pour moi, claironna-t-il avant d'ajouter sur un ton moins enjoué, après avoir lorgné mon verre de sang. T'es un vampire, je me trompe ?

Durant une fraction de seconde, je crus déceler une once de déception dans son regard, trop rapidement remplacée par une indifférence maîtrisée. Je ne parvenais pas à deviner sa nature, son aura comme cadenassée et emmurée derrière une paroi de béton armé impénétrable.

Je repris de mon sang-froid, et lui répondis d'un ton qui m'étonna moi-même :

- Ouais, j'suis un vampire. Ça te pose problème ?

Heureusement, une voix masculine retentit dans les haut-parleurs, mettant fin à cet échange gênant.

- Bienvenue à Shadow of Hope ! J'espère que vous avez passé de bonnes vacances et que votre année ici se déroulera pour le mieux. Les cours débuteront demain selon vos emplois du temps respectifs qui vous seront donnés au secrétariat des élèves en fin de journée. En attendant, j'invite les nouveaux élèves à visiter l'établissement et les alentours, et à s'intégrer au mieux dans la société surnaturelle dans laquelle nous vivons. Bonne rentrée à tous, et bonne année.

Au rez-de-chaussée se tenaient le réfectoire et les bureaux administratifs. Le premier étage du bâtiment principal comportait des salles de classe, tout comme le deuxième. Au troisième les chambres des élèves. Celles des professeurs se situaient au quatrième étage. L'établissement possédait un grand gymnase. À l'arrière du lycée, la forêt formait un épais rideau de nuances sombres, dégageant une odeur boisée agréable, mêlée aux senteurs florales.

J'étais accompagnée de Sally pour la visite. Lucy, marmonnant quelque chose qui ressemblait à : « je m'en fiche de cette visite, je connais déjà ce bahut. » s'était éloignée en direction de la chambre, dans laquelle elle avait élu domicile permanent. Elle ne comptait pas remettre les pieds dehors avant le commencement le commencement des cours, le lendemain matin. Je l'avais obligée de descendre manger à l'heu

Quand je vous dis cela, ça signifie qu'elle ne compte pas en sortir, et tient à sauter autant de repas que possible. Dans le genre têtue... Je me dirigeais vers la forêt quand des pas firent crisser les feuilles mortes derrière nous.

Chad apparu, embarrassé et il sembla même hésiter à faire demi-tour quand je lui jetai un regard interrogateur.

- Est-ce que je pourrais te parler ? demanda Chad en jetant un regard gêné à Sally.

L'intéressée rougit puis sembla se réjouir, mais elle remarqua aussitôt que le sorcier ne s'adressait pas à elle.

- Seul à seule, compléta-t-il.

L'expression de Sally se ternit et mon cœur redoubla de battements. Voulait-il aborder l'histoire du baiser ? Parce que je n'étais pas prête à en parler. Ni jamais d'ailleurs. Je souhaitais oublier cette histoire, car cela ne se reproduirait plus jamais.

- Je vous laisse, capitula finalement Sally avec une pointe d'amertume avant de se diriger vers l'établissement.

Les arbres nous enveloppaient, l'air était frais mais apaisant et les rayons de soleil filtraient difficilement à travers l'épaisse forêt. Tandis que j'observais la verdure, Chad me regardait intensément. Je rougis -encore une fois-, mais ne sus pas pour autant quoi dire. Alors je faisais tout pour retarder le moment où il comptait me parler du baiser accidentel... ou pas.

Au bout de plusieurs longues minutes, il se racla la gorge.

- Euh... dans quelques semaines, il y aura une soirée aux alentours de la forêt pour célébré une fête dédiée aux sorciers... et je me demandai si tu... enfin... s'il était possible qu'on s'y rende ensemble..., parvint-il à articuler.

Alors comme ça, c'était tout ce qu'il avait à me dire !

- J'y réfléchirais, déclarai-je.

Il sourit, puis m'attrapa par le poignet et m'entraîna plus loin.

- Que fais-tu ?

Il posa un doigt sur ses lèvres et continua à avancer. Au bout d'une centaine de mètres, nous débouchâmes sur une clairière. L'herbe verdoyante se limitait aux bordures du lac brillant sous l'effet du soleil. Un gros rocher gisait non loin de l'eau, prêt à s'y engouffrer en cas de danger, comme une grenouille.

- Suis-moi, m'intima Chad en me tirant vers le bloc de pierre.