Si Abaddon Tahir pouvait observer ce qui se déroulait au cœur de sa précieuse villa, il aurait été désespéré d'y découvrir la foule bigarrée des membres de l'Ombre qui s'y rassemblait. Son fidèle ami, James Lindsay, ne lui avait écrit que quelques messages lapidaires spécifiant l'avancée des événements. Arrivé à Baden-Baden, en Allemagne, le richissime homme d'affaire avait eu l'immense chagrin d'apprendre par Lindsay – qui cette fois l'avait appelé directement sur son portable – la mort de Traian Mormânt. Il ne fit pas beaucoup de commentaires, se doutant fort bien que beaucoup d'autres informations lui étaient dissimulées, mais s'enquit de l'état de la sœur du moroï. James en savait peu, elle était vivante mais elle et Radu Draculea avaient disparu. Monsieur devait faire attention : les frontières risquaient de fermer compte tenu de l'évolution dramatique des événements. Monsieur devait éviter à tout prix de se transformer en public et monsieur serait bien gentil de ramener à madame un petit souvenir d'Allemagne. Là, pris encore par l'émotion, Tahir craqua et prit des nouvelles de Sophie. Ne perdant jamais son esprit taquin, Lindsay déclara que madame était bien courageuse et que madame porterait définitivement la culotte une fois qu'ils seraient enfin mariés. Abaddon finit par raccrocher au nez de son majordome quand celui-ci exigea que la bague de fiançailles de Colibri soit « dessinée par monsieur en personne, sinon cela n'a aucun sens ! »
Dans une Baden-Baden engourdie par le froid et la nuit, Tahir décida de rejoindre à pieds le quartier populaire où la famille voirloup avait été attaquée. Il n'avait pas grand espoir de retrouver le moindre survivant, mais s'il y avait une seule chance, il devait la tenter. Le voirloup releva le col de son épais manteau en alpaga et enfila une paire de gants que Sophie avait déjà réussi à critiquer, notant leur prix exorbitant et le peu de soin que le PDG y avait apporté. En se giflant mentalement pour avoir une fois encore pensé à la jeune femme, Abaddon glissa les mains dans les poches et s'engagea dans une ruelle médiévale pour rejoindre plus rapidement le lieu du drame. Il fut choqué de remarquer – déjà – des tags en rouge ou en noir couvrant des affiches publicitaires ou les devantures de boutiques et proclamant une haine féroce contre les « darkies ». Plus il avançait vers le quartier qu'il avait choisi comme point de chute, plus ces tags se multipliaient, encore luisants, acérés, incitant au meurtre, au viol. Un grondement sourd échappa à Tahir lorsqu'il remarqua un dessin obcène censé représenter un voirloup. À sa surprise, il ne croisa aucun agent de police. Aucune limite ou déviation pour protéger de possibles scènes de crime. Quand il arrêta sa course devant la maison où le massacre documenté sur les réseaux avait eu lieu, une bâtisse que rien ne distinguait des autres, Tahir écarquilla les yeux : aucuns scellés, aucune démarcation. Rien. Juste de longues traînées noires, là où le feu avait léché la porte et les murs. Même les fenêtres, défoncées à coup de pierres et de battes, n'avaient pas été occluses à l'aide de carton ou de placo. Les débris de verre avaient été piétinés. Du sang séché maculait certaines aiguilles qui étaient restées fichées dans le cadre d'une des deux fenêtres du rez-de-chaussée. Abaddon secoua la tête, regarda autour de lui et décida d'entrer aussi naturellement que possible, par la porte au verrou défoncé à la barre à mine. Qui le soupçonnerait d'être une créature de l'Ombre, s'il n'utilisait pas ses pouvoirs ? Dans le pire des cas, il se ferait passer pour un fêlé de faits divers sordides. Ou un urban explorer. L'intérieur de la maison semblait grisâtre, poussiéreux et une odeur âcre prenait à la gorge : Tahir comprit qu'un feu avait sans doute démarré quelque part dans la demeure. Il vit du sang séché à nouveau, cette fois en flaques trop larges pour que la personne qui ait perdu ce sang soit encore en vie. L'Iranien posa deux doigts contre la plus large des flaques, dont le centre était en fait encore humide, et huma l'odeur du fluide : c'était bien du sang de voirloup. Une adulte, une femelle, comprit-il. De longues traînées partaient de ces flaques : on avait traîné des corps. Le PDG, contracté, resta immobile quelques secondes, sous le choc, avant de s'ébrouer et de repartir dans son exploration lugubre. Colibri lui aurait sans doute été fort utile pour comprendre tout le détail des taches et des gouttes auxquelles les diverses projections avaient donné des formes différentes. Une chose était certaine : il y avait eu de la résistance mais la petite famille voirlouve avait péri. Sans doute des dissidents, qui, comme lui, souhaitaient vivre dans la Lumière à la façon des humains. Ces derniers leur avaient fait payer cher leur volonté de s'intégrer.
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Vampire Consultant 2
VampireIl s'agit là de la suite de "Vampire Consultant" : il n'y a aucun rapport avec la scission en tomes que l'on peut dénicher sur Amazon, c'est juste une coupure dans le récit due à la restriction de Wattpad à 200 chapitres par "livre". Donc si vous n...