Sophie vécut la cérémonie funèbre de Traian Mormânt et du père Masuma, tous deux côte à côte devant l'autel, comme si elle s'était retrouvée dans du coton. Elle avait du mal à ressentir du chagrin, de la peine. Pour tout dire, elle avait du mal à ressentir quoi que ce soit. La médecin-légiste connaissait déjà cette impression de dissociation : c'était la façon que son corps avait choisie pour gérer ce type de situation. Déformation professionnelle, peut-être. À sa gauche se trouvait Radu, Valeria dans les bras. La petite émettait parfois une plainte légère mais elle ne parlait pas et ne parlait pas non plus. Si le jeune Draculea avait réussi à s'entretenir avec son amie, à qui il n'avait pas trouvé la force de parler encore, il lui aurait confié que l'enfant s'était enfermée dans un profond mutisme, dont elle ne sortait que pour lâcher un petit soupir plaintif. Elle avait l'œil terne et même ses cheveux semblaient moins rouge, plus plats. Heath aurait même demandé à Sophie des conseils « de femme » – ce contre quoi la jeune femme se serait en d'autres circonstances sans aucun doute insurgée avec vigueur – sur la gestion d'un si jeune enfant en phase traumatique. Mais Heath n'avait pas réussi à parler à son amie. Ni à Oscar. À personne, en fait. Juste à ce prêtre jésuite qui semblait si effarouché par la présence de créatures non-humaines sur terre mais qui avait accepté d'entendre les confessions du strigoï et de procéder aux funérailles du prince moroï. Le père Karl lut les quelques mots que Radu avait rédigés. Ce dernier ne souhaitait pas s'approcher de l'autel, ni parler face à un public qui – il le pensait sincèrement – le haïssait. Colibri, à présent glacée des pieds à la tête, une douleur exquise lui remontant des pieds, s'obsédait à regarder le père Erika parler avec une sobriété pudique, sans vraiment entendre ce qu'il disait. Quelques chants. Elle jeta un coup d'œil à Valeria : cette dernière d'habitude si vive posa ses yeux verts sur ceux de l'humaine. La petite ouvrit la bouche mais resta silencieuse, comme saisie par une tristesse trop adulte pour sa si grande jeunesse. La médecin-légiste, qui mettait un point d'honneur à clamer qu'elle n'avait pas du tout la fibre maternelle et qu'elle détestait les gosses, eut un mouvement parfaitement instinctif qui aurait pu la mettre en danger – elle ne le réalisa que bien plus tard – : elle tendit la main et caressa la petite menotte potelée qui dépassait de sous l'épaisse couverture qui enveloppait l'enfant. Radu, plongé dans ses pensées, eut un brusque sursaut et eut le réflexe de refermer les bras autour de la petite et l'éloigner un peu. Ses traits se contractèrent sous une grimace de tristesse et malgré lui, il laissa échapper :
— Pardon, Sophie.
La jeune femme tressaillit : elle s'apercevait qu'elle émergeait lentement mais sûrement de son état de transe et ses émotions l'assaillirent. Elle réalisa combien son ami lui avait manqué, combien ce silence forcé et cette séparation lui avaient pesé. Alors que le père Erika adressait une prière à la Vierge Marie, se tournant vers une petite statue au fond de l'église aux murs et aux colonnes blanches, Sophie laissa un tourbillon de tristesse lui ravager les entrailles et les sanglots montèrent dans sa gorge. Elle voulut se débattre pour attraper le paquet de Kleenex qu'elle avait, prévoyante, placée dans une poche arrière de son fauteuil, mais Radu l'arrêta, lui tendant un fin mouchoir de soie soigneusement plié, aux couleurs chaudes. Colibri échangea un bref regard avec lui : il avait les yeux secs mais ses traits étaient si contractés qu'on aurait juré qu'une vive douleur lui traversait le corps en cet instant même. Les larmes jaillirent et coulèrent sur les joues de la médecin-légiste. Celle-ci sentit le long bras de son ami l'entourer et lui caresser l'épaule, délicatement. Il glissa sur le banc, se rapprochant d'elle le plus possible pour la serrer contre lui malgré l'imposant fauteuil roulant qui créait une barrière inévitable entre la jeune femme et le monde qui l'entourait. Cette dernière finit par enfouir à demi son visage contre le manteau du strigoï, reposant une main sur celle de Valeria qui la regarde de ses grands yeux tristes, en silence.
VOUS LISEZ
Vampire Consultant 2
VampireIl s'agit là de la suite de "Vampire Consultant" : il n'y a aucun rapport avec la scission en tomes que l'on peut dénicher sur Amazon, c'est juste une coupure dans le récit due à la restriction de Wattpad à 200 chapitres par "livre". Donc si vous n...