123 - A cry is heard in Ramah

247 47 24
                                    

Abaddon Tahir découvrit donc en une froide nuit d'Avent, au cœur de Baden-Baden, un petit survivant transi de peur. L'unique survivant, ainsi que l'expliqua Günther, le vieil Allemand qui avait recueilli l'enfant, d'un massacre atroce, digne des pires horreurs que le pays ait connu dans les années quarante. Le petit était sous forme voirlouve, amaigri et une patte cassée, quand le vieux l'avait découvert au fond d'une poubelle où il grignotait des pelures de légumes, à moitié mort de froid et de faim. Günther s'était fait mordre en se saissant du voirlouveteau et l'avait caché sous son manteau pour le dissimuler dans sa maison, conscient qu'il prenait pour sa vie un risque immense.

— Je ne comprends pas bien ce qui se passe, admit le vieillard en resservant l'Iranien qui dévorait pour sa part à belles dents, sentant peser sur lui le regard inquiet du petit voirloup dans l'interstice entre la porte et le mur. Mais ce dont je suis certain, c'est que cette famille-là n'avait rien à se reprocher et que la femme ne s'est pas transformée tout de suite, même quand ils ont frappé ses enfants. Elle a attendu d'être sûre d'avoir le dos au mur. Lui, le petit, il a dû filer quand ces sauvages ont tiré ou ont fichu le feu. Ah, çà ! Quand j'ai vu cette grosse bête qui se battait pour ses petits, j'ai trouvé ça injuste. Mais je ne pouvais rien dire : ils m'auraient tué avec. C'est lâche, hein ?

— Aux dernières nouvelles, vous êtes l'unique humain de cette ville à mettre ses jours en danger pour protéger ce que d'autres appellent un « monstre ». Est-ce qu'il vous laisse l'approcher ? Vous l'avez vu sous forme humaine ?

— Je me souviens plus des plus âgés. Lui, c'est le petit dernier. Il doit avoir six ans, quelque chose comme ça. Son père est mort, je crois, quand il avait trois ans. Depuis que je l'ai retrouvé, il n'a jamais repris forme humaine et j'arrive seulement à lui donner à manger dans la main. Je n'ai jamais essayé de l'attraper. Il a de belles dents, dites !

— Je me doute. Vous permettez que je... ?

— Je vais surtout fermer les volets, avant que vous me fassiez brûler ma maison, devança l'Allemand en comprenant que Tahir comptait se métamorphoser dans sa cuisine.

Sous sa forme voirlouve, Rykka rejoignit l'enfant qui s'était réfugié à l'étage, dans une chambre où le lit était fait et où quelques livres pour enfant et autres vieux jouets en bois avaient été installés. Le petit, terrifié, jappa et fit mine de mordre son aîné qui, le poil hérissé, lança un grondement d'avertissement. Abaddon tenta sans résultat d'interagir mentalement avec la pauvre créature maigre et boiteuse. Cette dernière était étanche à toute tentative de communication mais, en entendant le terrible grondement, avait baissé les armes et s'était avancée en rampant sur le ventre pour lécher le nez de Tahir, qui répondit en passant un coup de langue sur la tête du voirlouveteau, plaquant les poils acajou de ce dernier sur son crâne. Plaintif, le petit être se recroquevilla contre le pelage épais et doux du poitrail de l'adulte, saisi de frissons de peur et de fatigue. Assuré que l'enfant ne le mordrait pas, le PDG décida de reprendre forme humaine. Sur le visage sombre de l'Iranien, une grande tristesse perçait. Il saisit le corps osseux du voirlouveteau et le glissa contre son torse, sous un repli de la veste de son costume. L'enfant s'endormit presque aussitôt.

Günther vit donc son hôte reparaître en berçant une boule de poils de laquelle de légers ronflements s'élevaient.

— Il vous a laissé le prendre ?

— Oui, il a compris que je n'étais pas un homme. Il n'a sans doute pas fermé l'œil depuis le massacre, ajouta Abaddon en s'asseyant avec précaution face aux restes du rôti.

— Vous allez le... l'adopter ? osa l'Allemand en hésitant sur le mot.

— Moi ? Non, je ne crois pas que ça soit très prudent.

Tahir aurait préféré, en réalité, adopter le survivant. Ses gènes voirloups le poussaient – comme son père l'avait fait avec Toukou et Noggoï – à prendre sous sa protection le petit. Une idée étrange, saugrenue, germa sous son crâne alors qu'il acceptait avec reconnaissance une tasse de café noir. Une idée dont il ne comprit pas du tout l'origine, comme si quelqu'un la lui avait soufflée. Comme si on le forçait à concevoir ce plan bizarre, étrange et somme toute dangereux. Abaddon fronça les sourcils : il songea que cette idée n'était pas de lui. Il ne croyait pas en Nirmâta, l'Être divin que les habitants de l'Ombre vénéraient, ni en Allah ou en Jésus, mais il dut reconnaître que l'inspiration qui l'avait saisi ressemblait bien à une action surnaturelle. De qui cette intervention provenait, il aurait été bien en peine de le savoir, cependant il se pinça les lèvres en avalant une gorgée de café :

— J'ai un... j'ai une connaissance qui a adopté une enfant. Ça ne sera pas une mince affaire, mais je pense que je saurai convaincre cette personne d'accueillir ce petit orphelin.

C'était comme si on avait pris possession de lui : il avait prononcé ces mots sans même le penser. Il ne le pensait d'ailleurs pas. Hors de question de s'approcher de Radu Draculea après que ce dernier ait subi la perte de Traian. Il serait si dangereux qu'il risquait bien de les tuer, lui et le petit rescapé. Mais Tahir, à nouveau, hocha la tête et déclara d'une voix tout à fait convaincue :

— Cela ne posera absolument aucun problème. Il sera ravi. 

*

Bon. Je pense que Tahir a de bonnes raisons de s'inquiéter. Et vous ? 

Un chapitre assez court par rapport au précédent mais je tenais à le sortir. 

Deux bonnes nouvelles à présent : 

(1) j'ai fini enfin la correction du tome 3, qui sortira donc sous peu ! 

(2) un concours est dispo jusqu'à ce soir sur Insta et FB pour gagner un exemplaire de Get Away (n'oubliez pas d'être majeur pour participer ! ), n'hésitez pas à me MP si vous voulez les liens !!!

Merci encore mille fois pour votre soutien et votre gentillesse. 

Sea

Vampire Consultant 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant