126 - If I had a heart

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Lorsque Radu, aux prises avec sa haine, son immense chagrin et son désespoir de voir Valeria s'étioler – il n'avait pas menti à son frère au sujet de la fillette – malgré les soins qu'il lui apportait, vit Abaddon Tahir avancer calmement vers lui entre les arbres du parc du prestigieux lycée versaillais, tout son corps se raidit. Pour autant, il ne gronda pas. Le voirloup connaissait le danger auquel il se soumettait et il n'était pas fou : s'il venait droit vers le strigoï, il l'assumait.

— Je viens en paix, lança Tahir en arrêtant sa marche à une dizaine de pas du strigoï, assis sur un petit banc de pierre.

Le souffle de l'Iranien formait devant sa bouche une buée blanche. Il portait quelque chose sous son manteau.

— Je ne veux voir personne, grogna Draculea en serrant contre lui sa fille.

— Je dois vous parler, rétorqua le PDG en reprenant sa marche.

Il eut l'audace calme de venir s'asseoir aux côtés de son ennemi naturel.

— Votre père... commença le vampire, furieux de l'outrecuidance du fils de Nili.

Votre père était un ignoble monstre.

Radu faillit répondre, furibond, mais la réplique lui échappa. L'homme d'affaire avait mis le doigt sur un point sensible.

— Je vous ai rendu service, Draculea, même si j'admets que j'aurais sans doute rendu ce service gratuitement, mais en échange, je vous demande seulement de m'écouter car vous êtes l'unique personne en qui je peux avoir confiance. Oui, je sais, soupira-t-il, ça semble paradoxal.

Il découvrit un peu son fardeau : Radu vit une boule de poils, rien de plus. Ça dormait.

— J'ai du aller le sauver en catastrophe. Toute sa famille a été décimée sous ses yeux. Je ne sais rien de lui, ni de sa famille mis à part qu'ils vivaient en... qu'ils étaient comme moi. Ils vivaient parmi les humains. Il ne se transforme jamais en humain ou en chat... et il peut mordre s'il est effrayé. Il a besoin de calme et je crois qu'il a aussi besoin d'une protection particulière : il y a un problème que je n'arrive pas bien à comprendre entre les clans voirloups. Ça dépasse la problématique orphique : il y a un groupuscule voirloup qui souhaite sans doute prendre le pouvoir. Et les orphiques ne tarderont pas à apprendre qu'il leur a échappé, d'une façon ou d'une autre. Personne ne se douterait qu'il est chez vous, après les graves fautes que Nili a commises contre vous.

— Imparable raisonnement, mais cette sale boule de poils puante pourrait aussi bien être sur le point de mourir : jamais elle ne passera le seuil de ma porte.

— S'il reste avec moi, il sera vite repéré !

— Il appartient à Nili. Vous avez de la chance que je ne lui ai pas déjà arraché les entrailles pour les manger.

— Je vous en prie !

— Mettez-vous à genoux si vous le voulez, mais c'est non.

— C'est Sophie Colibri qui m'a demandé d'aller le chercher, osa déclarer l'Iranien.

Cet argument sembla un instant faire mouche, mais le regard du strigoï s'obscurcit à nouveau.

— Sophie... Elle ne souhaite plus rien avoir à faire avec moi. Je lui ai trop fait de mal. Il ne faut plus que je lui fasse du mal, marmonna-t-il.

Le voirlouveteau inspira profondément et poussa un long soupir, un soupir comme seul un enfant profondément endormi peut les pousser. En reculant un peu, Tahir dévoila les oreilles encore tombantes de la petite créature assoupie. À cet instant, Valeria sembla s'étirer et s'agiter. Elle se mit à se débattre et piailler, semblant vouloir s'exprimer. Elle regardait tour à tour son père adoptif puis le voirlouveteau, produisant une multitude de sons agrémentés de bulles de salive. Ses yeux, songea Radu. Ses yeux étaient redevenus vivants.

— Attendez un instant, fit le strigoï à son voisin qui n'avait eu aucune intention de partir sans insister lourdement.

— Qu'est-ce qui lui arrive ?

— Elle réagit à la présence de cette sale créature. Montrez-la-moi.

— C'est un orphelin ! gronda Tahir en foudroyant le vampire du regard. Il est complètement traumatisé. Et il est blessé, je sors de chez un vétérinaire qui a dû le sédater pour faire des radios !

— Peu importe, montrez-le-moi.

Abaddon voulut refuser mais Valeria, les yeux agrandis, tendit les deux bras vers lui, babillant de façon très expressive. Le PDG comprit où était l'intérêt de la fillette, mais aussi celle de son protégé et il découvrit le voirlouveteau au pelage acajou. Il avait eu droit à un bain sous sédation chez le vétérinaire. Les cheveux ternes et plats du bébé prirent soudain une coloration rouge vif et se dressèrent sur sa tête de façon complètement anarchique, comme lorsqu'ils avaient poussé brutalement face à Radu. Ce dernier hocha la tête :

— C'est d'accord, je le garderai avec moi.

— Vous le protégerez ?

— Dans l'intérêt de Valeria, oui. Je le protégerai et je ne lui ferai pas de mal tant qu'il ne présentera pas de menace pour ma fille. Mais ne me demandez pas de l'aimer.

— Je ne connais pas son nom, il ne...

— Son nom ne m'importe pas.

À regret, le fils de Nili abandonna l'orphelin sans nom à la garde d'un strigoï qui ne l'aimerait pas. Après tout, songea le voirloup, c'était bien pour cette raison qu'il avait choisi le plus jeune des Draculea comme gardien de ce pauvre gosse. Dès que la situation se serait calmée ou dès qu'un voyage sûr serait organisé vers Jamshid, Rykka se promit de récupérer le petit, coûte que coûte.

Radu resta longtemps dans le parc, plus d'une heure. Sous son manteau dormaient Valeria – le visage apaisé pour la première fois depuis la mort de son frère – et le voirlouveteau au pelage rouge sombre. Lorsqu'il sortit de l'école avec la discrétion qui le caractérisait, il eut la surprise de se faire aussitôt alpagué par une voix féminine.

— Hea... Heath !

Une voiture était garée non loin d'un petit bistrot dans lequel Ukr et quelques membres du Petit Peuple s'étaient restaurés après les funérailles. La berline noire aux vitres teintées était conduite par James Lindsay, au visage toujours aussi impassible, et la petite silhouette de Colibri émergeait tant bien que mal par la fenêtre baissée. Radu serra les dents, il sentit une honte terrible l'envahir. Quand il constata en s'approchant de la portière que la jeune femme avait pleuré sans doute depuis leur altercation, il crut qu'il allait vomir. Il avait osé lui briser le cœur alors qu'elle avait tant souffert par sa faute ! Il prit une longue inspiration mais Sophie ouvrit la portière et – incapable de se déplacer – lui saisit le poignet.

— Oh, Heath, je te demande pardon ! Je te demande tellement pardon ! Je n'aurais jamais dû te parler comme ça, j'ai été une vraie garce ! Je suis tellement déso... déso... désolée !

Elle hoqueta, se noyant dans ses larmes et le vampire posa un genou en terre pour la serrer maladroitement contre lui. Dans sa tristesse, la médecin-légiste ne se préoccupa même pas de cette fourrure chaude qu'elle avait sentie contre son cou alors qu'elle sanglotait sur l'épaule de son ami.

— C'est moi qui suis... voulut à son tour dire Radu.

— Non, non, non ! répéta Colibri en secouant vivement la tête. Ne dis rien ! C'est moi ! C'est de ma faute ! Je suis... j'ai été... j'ai été la pire amie possible !

— Tout va bien, murmura Radu dans les cheveux bruns épars de l'humaine. Vous n'avez rien à vous faire pardonner, c'est de ma faute.

— Tu me pardonnes ? Radu, est-ce que tu me pardonnes ?

Le strigoï nota dans sa vision périphérique le regard intelligent de Lindsay dans le rétroviseur : l'homme hocha légèrement la tête. Draculea soupira et répondit :

— Oui, Sophie, je te pardonne. 

*

*

Alors ? Qu'en pensez-vous so far ???? 

Merci à vous pour votre lecture ! ;-)

Sea

Vampire Consultant 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant