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Samuel se calmait au fil des retours de la balle orange. Son pouls s'accélérait et la colère ne faisait plus vibrer son cœur, l'adrénaline du jeu l'avait remplacé. Tant qu'il était concentré sur la balle, il ne remarquait pas la présence de Franck à quelques mètres. Ce dernier était assis dans l'herbe les genoux sous le menton, les yeux observant les mouvements fluides du garçon. Enfin, Samuel s'arrêta, la respiration sifflante et les côtes douloureuses. La douleur des coups de vendredi revenait violemment.

— T'as trop de colère, fils, lança alors Franck.

Samuel se retourna d'un mouvement trop vif qui le fit grogner, surpris par la présence de l'homme. Les yeux sombres du garçon rencontrèrent ceux, plus clairs, de Franck. Celui-ci y lut du défi, mais aussi de la crainte.

— Désolé, je pensais que tu m'avais remarqué, s'excusa-t-il.

Pour toute réponse, l'adolescent secoua la tête, le ballon callé sous le bras. Franck se leva, épousseta son jogging et s'avança jusqu'à l'adolescent. Il sentait les effluves de la colère qui émanait de Samuel, et il n'aimait pas cette odeur.

— Que se passe-t-il Samuel ?

Samuel détourna le regard mais Franck lui attrapa le menton avec une douceur maladroite, le forçant ainsi à s'affronter.

— Il se passe que je suis noir, souffla avec une violence douloureuse l'adolescent.

Franck eut un hoquet de surprise. Les mots que crachait le garçon l'effrayaient encore plus que le fait qu'il venait de parler pour la seconde fois en sa présence.

— Je...quoi ? bégaya l'homme, lâchant le menton de son cadet.

Samuel haussa les épaules, laissant tomber la balle dans un bruit sourd sur le bitume de l'allée.

— C'est la plus belle des couleurs le noir, reprit Franck.

Visiblement pas du même avis, Samuel lui accorda un regard à la fois glacial et interrogateur. Il ne voyait pas en quoi le noir, son noir à lui, était beau. C'était sale, dégradé et inférieur. Même un aveugle changeait de trottoir en le croisant tant sa couleur puait.

— Tu connais les valeurs de la vie que le blanc ne connait pas, Sam.
— Je connais quoi de plus qu'eux ? L'inégalité, ricana méchamment l'adolescent en se reculant.
— Tu te limites aux dires des imbéciles et ça m'agace. Et franchement Sam, tu es noir. Tu ne peux pas le changer, alors accepte le. Accepte toi.

Samuel respirait rapidement, la douleur irradiait dans chacun de ses membres. Il ressentait l'agacement de celui qu'il considérait doucement comme un père.

— Une femme m'a dit un jour que personne ne peut nous aimer si on ne s'aime pas d'abord. Quand t'es arrivé ici, tu te frappais le dos et tu te griffais, tu te détestais à tel point que les autres étaient obligés de te détester.

L'adolescent était frappé par les paroles de Franck car au fond de lui, il savait que son aîné avait raison. Depuis la mort de son père, il avait horreur de ses origines et de ses couleurs, il enviait les blancs qui avaient une vie calme et sans remous. Les blancs pouvaient tuer sans se faire remarquer, ils pouvaient faire une bêtise sans finir les mains liées dans le dos. Alors qu'un noir ne pouvait même pas regarder dans les yeux un policier ou un blanc sans finir à genoux, une matraque au creux des côtes.

Et c'était cela qui lui faisait haïr son éthnie.

— Tu ne veux pas te faire confiance, Sam ? Tu ne veux pas être fier de cette couleur ?
— Cette couleur a tué mon père ! s'exclama Samuel.
— Et elle tuera encore si tu la renie et que tu gardes le silence.

Pour la première fois, Samuel laissa hurler son cœur et les cris de sa poitrine s'exprimèrent en larmes brûlantes. Franck lui attrapa l'épaule et le garçon planta son front contre le torse fort de l'homme.

— C'est dur, papa hurlait partout qu'il était le plus beau et ils l'ont tué pour ça. Encore à genoux il riait de fierté.
— Ça devrais te rendre fier aussi, non ? essaya Franck d'une voix propre, appréciant l'ouverture du garçon.
— Non, ça me dégoûte et m'effraie.

Samuel n'ouvrira plus la bouche du reste de la soirée, il séchera ses larmes, remerciant Franck et le congédiant avec chaleur. Ce soir-là, l'homme contactera pour la première fois en trois mois Victoria Melannie.

°°°

À des milliers de kilomètres plus loin de la côte française, une femme pleurait aussi. Elle tenait entre ses mains le téléphone portable du fils de sa patronne, elle sentait ses jambes flagoeller mais gardait le dos droit.

My godness, baby, disait-elle dans des murmures brisés.
Sorry miss.

Siam avait mal au coeur en voyant cette vidéo faisant le tour du monde. Elle ressentait la douleur de son enfant à chaque coup qu'il recevait sur le corps et elle remerciait l'autre garçon qui était intervenu à la fin du film. Siam n'avait aucun contact avec Samuel, elle n'en avait pas le droit et pas les moyens. Le seul pont qu'elle avait avec la France était l'assistance sociale, cette madame Melannie.

— Siam ?

La voix sourde du mari Branston la fit sursauter, elle releva ses yeux mouillés vers son patron et s'excusa mollement avant d'éteindre le téléphone dans un geste maladroit. Elle n'avait pas le droit de pleurer sur son lieu de travail, encore moins pendant ses heures de travail. L'homme la coupa lorsqu'elle voulut se retourner vers la vaisselle et le balai qui l'attendait. Il tendait le bras et lui attrapa le poignet dans un geste rempli de douceur.

— J'ai vu la vidéo, je peux vous proposer quelque chose, commença-t-il.

La petite femme de ménage ne se retourna pas, son coeur lui oui. Même son patron avait vu son fils se faire battre lâchement !

— Avec Madame nous partons en France dans trois jours, je peux prendre un billet dès maintenant pour que vous veniez avec nous. On passera d'abord à Paris comme convenu puis nous descendrons à Lyon ensuite. Au lieu de faire un séjour de deux jours, ce sera un séjour de quatre.

Siam se retourna enfin, croyant a une blague.

— Vous avez une heure pour me dire votre réponse.
— Je ne peux pas enfin, Monsieur c'est beaucoup trop. Je n'ai pas l'argent !
— Moi je l'ai,ce sera juste quelques heures supplémentaires mais nous parlons de votre enfant. Que vaut l'argent a côté de cela ?

Personne répondit et l'homme sortit de la pièce dans un air propre à lui. Dans la tête de Siam, c'était désordonné. Son ange hurlait qu'elle devait partir en France, revoir son enfant et le chérir. Son diable le lui déconseillait. Elle ne savait pas ce qui l'empêchait de courir après Monsieur Branston, mais ça la tétanisait.

Finalement, elle décida de finir ses tâches pour ordonner toutes ces pensées et elle donnera sa réponse ensuite.

**
*

Ces braves Branston !
Je les aimes fort, et vous ?

( ˘ ³˘)

Passé composéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant