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— Cigarette ?

La voix d'Isiah eut une once de brutalité mêlée à la douceur. Le silence s'était éternisé entre les deux êtres brisés. Leurs maux avaient fait fuir la chaleur, remplacée par la petite fraîcheur du soir. Dans d'autres cas, la faim grognerait. Mais dans ce cas, la colère grondait. Samuel était toujours assis sur le bord du trottoir, les yeux rivés sur l'entrée du parking en espérant y aperçevoir la voiture de Franck. Isiah, quant à elle, s'était levée puis rassise puis s'était remise debout.

Maintenant, elle regardait Samuel d'un regard rongé par la destruction, un paquet de cigarette ouvert à la main. Une des occupantes de ce paquet ce trouvait déjà au coin des lèvres de la jeune femme.

— Ouais, accepta le garçon.

Il alluma rapidement et inhala la fumée avant de la garder un moment. En l'expirant, il revit le visage de son père. Un visage bousillé par l'inquiétude, la cigarette bon marché et l'alcool. Sa peau était grise à force de passer sous la fumée. Samuel avait toujours détesté l'odeur du tabac, c'était quelque chose de âcre et agressif.

— Je te voyais pas fumer, glissa Isiah à un moment.

Samuel ne lui répondit rien. Il se revoyait trois ans plus tôt, sur le seuil de chez lui. Sa mère pleurait en silence dans le salon tandis que deux monsieurs et une dame lui parlaient. Le garçon qu'il était ne comprenait pas ce qu'ils disaient, il n'avait jamais cherché la signification de leurs paroles d'ailleurs. Il avait déjà mal au fond du cœur, son ventre et sa tête étaient brûlés par le manque. La douleur s'était accentuée en croisant le regard trop humide de la femme qui l'avait mis au monde. Elle l'avait appelé et il s'était glissé contre elle. C'était à partir de ce jour qu'il avait décidé de se taire, mais aussi c'était ce jour là qu'il avait fumé pour la première fois.

— Baby, it's time to go. These people take you to France.

La voix de sa mère avait été brisée, une larme avait roulé sur sa peau d'onyx tandis que ses mains tremblaient. Il n'avait pas pleuré, il avait seulement fuit. Il était sorti de chez lui en trompe et il avait couru jusqu'à arriver sur le terrain de basket du quartier. Ave ses grillages de rouille et son sol craquelé, Samuel l'aimait. Il disait qu'ils étaient les mêmes : rouillé et craquelé. Il avait joué avec deux grands, puis l'un d'eux l'avait vu au bord des larmes quand la dame qui était chez lui était venue l'observer.

— Tiens, gamin, avait prononcé l'autre en tendant un joint.

Il avait tiré une fois, puis tousser comme une dingue pendant dix minutes avant de recommencer. Le grand lui avait appris, le mettant en garde contre ces trucs. Il lui avait expliqué que les cigarettes ne faisaient pas vraiment de mal contrairement aux joints.

— Eh ! T'es où là ?

Isiah le projeta dans la réalité brutalement, le visage de son aîné s'évapora pour laisser place à celui un peu plus délicat de la jeune femme. Il porta le mégot à ses lèvres, savourant la fumée grise emplissant sa bouche puis ses poumons.

— Pourquoi tu te tais ?

Trop de réponses affluèrent et ricochèrent dans la tête de l'adolescent. Il n'en dicta qu'une seule.

— Car personne ne m'écoute.

La jeune femme hocha la tête et revint s'assoir sur la gauche du garçon. Elle regardait devant elle, le ciel coloré se reflétait sur le pare brise des voitures garées.

— Peut être que personne ne t'écoutais, mais aujourd'hui ça a sûrement changé.
— On ne prête pas attention à un gamin paumé et noir qui n'est même pas français.
— T'es pessimiste, Samuel. Tu ne te donnes pas les moyens de te faire entendre aussi. Regarde moi, gamine de la guerre, immigrée exclue de la société et pourtant je lutte sans arrête et petit à petit les gens change. C'est peut-être uniquement les voisins ou mes copines, mais c'est déjà bien.

Passé composéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant