Chapitre 2 : Quelque chose à vous dire

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Je me force à sourire pour chaque client. Comment ai-je pu penser que c'était une bonne idée de planifier mon coming-out un jour de travail ? C'est déjà compliqué d'avoir l'air enchanté de scanner des boîtes de conserve et des paquets de pâtes d'ordinaire, mais aujourd'hui, je suis terriblement distrait. Je n'insulte même pas les clients malpolis dans ma tête. Rien ne va plus. Et évidemment, savoir que Flynn est juste derrière moi, travaillant à sa propre caisse, ne m'aide pas à penser à autre chose. Je pourrais saisir l'occasion et lui dire dès maintenant. Histoire de sonder le terrain. Mais je préfère attendre qu'on aille rejoindre nos deux autres amis. Tu as un plan, Oliver, alors tiens-toi en à ce qui est prévu.

—    Hé, Trevino ! appelle Flynn en me tapotant sur l'épaule. Le type aux lunettes de soleil, allée fruits et légumes.

Je me tourne vers la direction indiquée, prêt à dégainer ma meilleure invention. C'est un jeu qu'on a inventé, Flynn et moi. On observe un client et on essaye de lui inventer une histoire, comme s'il s'agissait d'un personnage de film. Ça nous passe le temps quand c'est une journée calme pour le magasin. Pour être honnête, il n'y a jamais grand monde dans ce supermarché de petite ville. Pourquoi venir ici quand le centre commercial est à dix minutes de voiture, à peine ? C'est à se demander comment le gérant fait pour rester ouvert.

Donc. L'homme aux lunettes de soleil. Il est assez grand, en costume cravate, des cheveux bruns plaqués par une surdose de gel. L'inspiration vient très rapidement.

—    Avocat, dis-je, divorcé sans enfant. Il achète de quoi faire un repas pour sa toute nouvelle petite amie, en espérant qu'elle sera suffisamment charmée pour vouloir passer la nuit chez lui. Et il ne sait pas que les lunettes de soleil sont faites pour l'extérieur. Là où il y a du soleil.

—    Pas mal, répond Flynn. La dernière partie était plus une observation qu'une invention, mais je prends quand même.

—    OK, à ton tour, maintenant.

J'examine les alentours pour trouver la prochaine cible. Je prends mon temps pour être sûr de trouver quelque chose de difficile, juste pour l'embêter. Je repère une jeune femme d'une quarantaine d'années, robe rouge à motifs et veste en jean. Elle est en train de se disputer avec quelqu'un au téléphone, mais ce qu'elle dit est imperceptible. Je fais un signe discret à Flynn pour qu'il la trouve.

—    Choix intéressant, dit-il en frottant légèrement sa barbe de trois jours avec le revers de sa main. Je dirais : mère au foyer qui engueule son mari parce qu'il refuse d'aller dîner chez sa belle-mère. Tu trouves toujours des excuses pour ne pas aller chez ma mère, Bertrand. J'ai déjà prévenu la baby-sitter, alors tu vas arrêter de faire des histoires ! Sinon tu vas passer quelques nuits sur le canapé, ça te calmera.

Oui, Flynn va jusqu'à leur inventer des dialogues. Il joue toujours le jeu à fond, et j'adore ça. Je ne peux m'empêcher de sourire. On continue comme ça pendant une demi-heure, s'arrêtant occasionnellement dès qu'un client se montre à l'une de nos caisses. Je ne pouvais pas rêver d'une meilleure distraction. Flynn m'a presque fait oublier ce qui va se passer dans une poignée d'heures. Presque. Car dès que notre jeu s'arrête, la panique revient au galop.

Lorsqu'il est occupé à passer les articles d'une dame âgée, j'en profite pour le regarder du coin de l'œil. Flynn et sa peau mate, son dégradé à blanc et ses yeux d'un marron intense. Parfois, je regarde mes amis et je suis surpris de voir qu'ils ont l'air si... adultes. En théorie, je sais très bien que nous avons tous grandi, moi y compris. Mais quand on voit quelqu'un presque tous les jours pendant autant d'années, on a tendance à moins faire attention aux détails.

Je connais Flynn depuis la troisième, quand sa famille a emménagé à Longdale. Il est vite passé du nouvel élève qui mangeait seul à la cafétéria à un membre à part entière de notre petit groupe. Maintenant, c'est comme s'il avait toujours été là. J'essaye d'imaginer la manière dont il va réagir face à ma nouvelle. Il va bien le prendre, pas vrai ? Ah, c'est le pire aspect de cette histoire de coming-out. Même si vous êtes quasiment certains que la personne en face de vous n'aura pas de réaction négative, il y a toujours un minuscule doute qui vient parasiter votre cerveau.

Oliver et le mythe du Prince CharmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant