Prologue

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"Un livre est un ami qui ne trompe jamais" - Jacques Vallée des Barreaux, Sonnets, 1950

Avec un soupir quelque peu désespéré, le garçon s'accroupit un peu plus sur le toit pour mieux se fondre dans l'ombre de la cheminée. Il ne faudrait pas que la lectrice, de l'autre côté de la rue, l'aperçoive. Comme tous les soirs, elle est assise contre le rebord de sa fenêtre, utilisant la lumière des réverbères pour continuer sa lecture d'un livre de la taille d'une encyclopédie. Elle l'a presque terminé mais il est minuit passé et le garçon préférerait qu'elle aille se coucher. Cependant, la brune continue inlassablement son labeur, jusqu'à la dernière page. L'expression de surprise qui se peint sur son visage – comme si elle ne peut pas croire que c'est déjà fini – lui arrache un sourire. Son livre devait réellement la passionner.

Enfin il la voit se lever et s'activer dans son minuscule appartement. Une lumière s'allume puis s'éteint quelques minutes plus tard. Il patiente encore un moment avant de bondir de toit en toit jusqu'à atteindre sa fenêtre. Avec un pincement au cœur, il détaille, non pas pour la première fois, le logement aux murs délabrés, dépourvu de confort et rempli de livres. En soupirant une nouvelle fois, il ouvre la fenêtre, dont le loquet cassé cède sans peine, et se glisse à l'intérieur.

La jeune femme est assoupie, dos à la vitre froide et à la lune, vêtue d'un pantalon épais et d'un pull informe, à peine couverte par une fine couette en ce mois hivernal, sur un matelas à même le sol. Le four de sa minuscule cuisine indique une heure vingt-trois. Curieux, il détaille les piles de livres formant un labyrinthe jusqu'à la salle de bains, séparée du reste par un rideau à l'ourlet mal cousu. Honnêtement, les seuls objets bien entretenus et neufs de cet appartement sont les ouvrages de papier, empilés avec soin, leurs couvertures brillantes presque dépourvues de la moindre imperfection.

Quand le premier grognement retentit dans la pièce, le jeune homme cesse son inspection pour se concentrer uniquement sur elle. Clochette lui a fait remarquer, avant qu'il ne quitte l'île ce soir, que son obsession pour elle, cette totale inconnue, devait venir de sa beauté et qu'il ferait mieux d'y mettre un stop. En réalité, il ne la trouve pas si belle que ça. Jolie, peut-être, mais pas plus. Avec ses cheveux abîmés, son visage quelconque et ses yeux qu'il sait sombres, il ne peut pas dire qu'elle soit hypnotisante. Et ce n'est, de toutes façons, pas pour ça qu'il revient chaque soir, inlassablement, depuis qu'il l'a découverte. Mais Clochette n'a pas besoin de le savoir.

Elle gémit de nouveau et il fronce les sourcils en même temps qu'elle. Ça commence. La femme s'agite dans son sommeil, se battant contre sa couette que le garçon remet en place correctement. Il lui caresse le front gentiment.

- Pauvre enfant perdue, chuchote-t-il. Les cauchemars refusent de te laisser en paix.

Puis avec un sourire fatigué, il se tourne et déploie ses ailes ciselées. Il les agite tranquillement et observe, par-dessus son épaule, la poussière de fée couvrir momentanément l'endormie avant de s'effacer. Ses traits s'apaisent et sa respiration devient plus profonde.

- Bonne nuit, sourit-il, fièrement cette fois-ci. Je reviendrai te voir demain.

Sur ces dernières paroles, il s'envole par la fenêtre, sans oublier de la fermer soigneusement derrière lui. Il s'amuse une minute ou deux dans le ciel étoilé de Londres avant de foncer vers la deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin. 

Voyage au pays imaginaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant