Chapitre 18

6 0 0
                                    

« Les dieux et les fées se trompent aussi » - proverbe chinois

Cassandria est définitivement nerveuse quand elle ouvre sa fenêtre ce soir-là. La visite de la fée Clochette ce matin l'a bouleversée et elle ne sait comment se comporter face à Peter. D'après les dires de la fée, il enfreint les lois du pays imaginaire en venant la voir quotidiennement. Cassandria l'ignorait totalement, Peter n'avait jamais semblé coupable ou stressé lors de ses visites. Il était seulement pressé qu'elle aille dormir pour se reposer avant qu'il n'aille rendre visite à d'autres enfants de par le monde.

Avec un soupir, elle s'appuie au rebord de sa fenêtre, ne faisant même pas semblant de lire l'ouvrage qui attend patiemment, posé sur son lit. Le froid de la nuit lui rougit les joues et lui brûle les poumons mais elle accueille ces sensations avec soulagement. Elle est toujours à Londres, dans cette vie paisible qu'elle est parvenue à se construire en dépit de tous les obstacles.

Quelle option Peter voudrait-il qu'elle choisisse ? Cassandria se surprend à réfléchir ainsi, elle n'a pas pour habitude de tenir compte de l'avis des autres en ce qui concerne sa vie. Le rouquin ne lui a jamais proposé de déménager au pays imaginaire pour rejoindre les enfants perdus. En fait, il était même clair dès le départ que Cassandria n'est pas une fille perdue. Et la jeune femme n'a jamais pensé à voir le pays imaginaire jusqu'ici ! Alors y vivre ?

Zut. Voilà qu'après des semaines de paix durant lesquelles Cassandria a vécu sans cauchemar et sans doute, elle risque de tout perdre en refusant de rester une enfant à jamais. En même temps...dit comme ça...elle n'a jamais voulu grandir dans ce monde d'adultes pourri jusqu'à la moelle. L'idée de rester une enfant, innocente, naïve, et pleine de rêves, n'est pas si repoussante que ça.

Ses pensées sont interrompues net quand la silhouette d'un jeune homme ailé se distingue sur les ardoises du toit d'en face. Peter Pan. Elle lui adresse un petit sourire et lui fait signe de la rejoindre. En un bond, le jeune homme vient s'installer confortablement sur le rebord de la fenêtre, à côté d'elle.

- Tu ne lis pas ? s'étonne-t-il.

- Non, j'avais trop de choses en tête aujourd'hui pour me concentrer sur mon livre, admet-elle.

- Ah...Clochette t'a donc perturbée à ce point ?

- Tu es au courant ?

- Oui. Je lui avais interdit de t'approcher, surtout pour quelque chose d'aussi stupide, grimace-t-il en se passant la main dans la nuque.

Bien. Elle n'est donc pas la seule à être nerveuse.

- Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que tu brises les lois du pays imaginaire en venant me parler ? En amenant les enfants perdus dans ma bibliothèque ? demande-t-elle, la panique l'envahissant soudainement.

Ses mains se crispent sur le rebord et elle se mord les lèvres pour ne pas pleurer. Si vraiment ce qu'a dit Clochette est la vérité, si elle doit dire adieu à Peter et aux enfants...elle ne veut pas l'imaginer. Elle ne veut pas se retrouver seule, encore une fois.

- Non, ce n'est pas vrai, soupire la fée en laissant sa tête basculer en arrière, contre le linteau de bois. Clochette croyait bien faire mais elle a agi trop vite, sans vérifier si ses actions étaient justifiées, et elle m'a désobéi. Je l'ai punie en conséquence, ne t'en fais pas. Elle ne reviendra pas te lancer ce genre d'ultimatum de sitôt.

- Punie ? Comment ça punie ?

- Je sui Roi des fées et elle était Fée du roi. Ce n'était pas son rôle de passer outre mes interdictions pour appliquer des lois que je connais mieux qu'elle ! En agissant ainsi, elle nous a tous mis en péril ! s'énerve le garçon, ses ailes frétillant dans son dos.

Peter ne lui a jamais fait peur. C'est un garçon un peu malicieux et blagueur mais au regard bienveillant et aux ailes scintillantes de magie. Cependant, en cet instant, avec ses yeux verts brillant de colère et la poussière de fée qui s'agite autour de lui, il a tout d'un roi terrifiant.

- Que lui as-tu fait ?

- Je l'ai privée de ses ailes, donc de sa magie, et je l'ai confinée au village des fées jusqu'à ce que je décide d'annuler sa punition.

- Quoi ? Peter ! C'est cruel ! s'effare la jeune femme.

- Vraiment ? Crochet a réagi comme ça aussi...semble-t-il soudain songeur. Mais ça ne me semble pas disproportionné. Elle m'a désobéi alors que je l'avais prévenue à de multiples reprises de rester en dehors de cette histoire. Elle a voulu expliquer son crime par des lois qu'elle n'a pas respectées...sa punition ne durera pas longtemps, j'ai besoin d'elle pour tenir tête aux cauchemars avec les enfants perdus et les pirates, mais je ne pouvais pas ne pas sévir.

- Je ne sais pas...ça paraît tellement...retirer les ailes d'une fée, ça me semble horrible.

- Hm. Elle a failli nous coûter nos chances...murmure encore le garçon avant de se taire.

Encore une allusion... « sans vérifier si ses actions étaient justifiées ». Si elle n'est pas une fille perdue, alors fée Clochette n'avait-elle pas raison en venant la mettre en garde ? « Elle nous a tous mis en péril », pourquoi est-ce que le risque que Cassandria les oublie les aurait-il mis en danger ? « Elle a failli nous coûter nos chances », quelles chances ?

- Hey, Peter...hésite-t-elle à poser la question qui lui brûle les lèvres.

- Oui ?

- Si je ne suis pas une enfant perdue, et que tu n'es pas supposé prendre part à ma vie...pourquoi suis-je différente ? Pourquoi les lois du pays imaginaire ne s'appliquent-elles pas à moi ? 

Voyage au pays imaginaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant