Chapitre 7

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« Le premier amour réclame seulement un peu de sottise et beaucoup de curiosité » - Georges Bernard Shaw, La seconde île de John Bull

Lorsque Peter vole au-dessus des toits de Londres cette nuit-là, il culpabilise. La bataille contre les cauchemars l'avait tellement épuisé qu'il avait dormi comme une souche jusqu'à presque midi. Autant dire qu'il avait largement dépassé l'heure à laquelle les cauchemars de Cassandria commençaient. Quand il était arrivé chez elle, filant à toute vitesse par le portail en priant pour qu'elle se soit couchée plus tard que d'habitude, il l'avait découverte tremblante et larmoyante. Une vision qui lui avait déchiré le cœur.

Cette nuit, il ne faillira pas. Dès que la jeune femme s'endormira, il la couvrira de sa poussière de fée et veillera à ce qu'elle dorme correctement jusqu'au matin. Il a déjà échoué à aider tant d'enfants par le passé...il n'est qu'un seul homme pour tout un monde et il ne peut pas toujours entendre l'appel à l'aide de tous ceux qui crient son nom dans leurs rêves.

Il avait repéré Cassandria par hasard, alors que c'est la voix intérieure d'un autre enfant bien plus jeune qu'il suivait. Jamais Peter n'avait entendu le cœur de la brune hurler et il ne l'entend toujours pas. Cassandria souffre continuellement de ses cauchemars pourtant elle ne réclame inconsciemment aucun secours. Comme si elle n'y croit pas.

Lorsque le rouquin arrive au niveau de son appartement, il remarque aisément la lectrice appuyée contre sa fenêtre pour profiter de la lumière du lampadaire en contrebas. Aussi régulière dans ses habitudes avec ses livres que Crochet avec son rhum. Assis dans l'ombre d'une cheminée, il l'observe patiemment. Quel livre lit-elle ? Qu'éprouve-t-elle en le lisant ? Qui est son personnage préféré ?

Peter ne se posait pas ces questions auparavant. Quand il lui rendait visite, il avait plutôt tendance à souhaiter qu'elle se couche plus tôt pour lui permettre de rentrer chez lui. Maintenant, plus il lui parle, plus il la voit interagir avec ses enfants perdus et plus il l'entend parler de ses livres avec une passion qui fait briller ses yeux foncés, plus il veut en savoir sur elle.

De l'autre côté de la rue, les sourcils fins de Cassandria se froncent et son nez se retrousse. Quelque chose de déplaisant a dû se passer dans l'histoire. Elle tourne les prochaines pages presque furieusement, comme si leur texte l'insultait. Soudain, sa main se porte à sa bouche et ses yeux s'écarquillent dans une expression de véritable effroi. Quelle scène la met dans cet état ? La suite sera-t-elle plus réjouissante ? Peter a l'impression d'être assis sur des charbons ardents tant il a envie de voler jusqu'à elle pour partager cette expérience avec elle.

D'un geste sec qui le fait sursauter sur son perchoir, Cassandria referme le livre avant de prendre plusieurs profondes inspirations. Une fois calmée, elle recommence sa lecture en se mordant les lèvres, penchée sur son livre et lisant à toute vitesse. Il veut savoir ! Quel personnage l'a fait réagir ainsi ? Pourquoi ? Est-ce une scène d'amour ou de bataille ? Son personnage préféré est-il blessé ? Mort ?

C'est insupportable. Peter n'arrive plus à se concentrer sur autre chose que les expressions de Cassandria qui défilent sur son visage au rythme de sa lecture, passant de la joie au rire, de la gêne à la tristesse, de l'effroi à la colère...Vivement demain qu'il puisse l'écouter lui raconter l'histoire mais ce ne sera pas pareil. Il ne pourra pas associer les actions des héros à ses mimiques ni rire ou pleurer en même temps qu'elle.

Les pages défilent et la lecture s'achève. Avec un sourire en coin, il se fait la réflexion qu'elle affiche toujours le même air étonné à la fin de l'ouvrage, comme si elle ne peut pas croire que ce soit réellement terminé. Puis, une fois l'étonnement passé, elle reste quelques minutes à ressasser l'histoire avant d'aller dormir. Peter aimerait être avec elle, à côté d'elle, pour voir en détails sa surprise et être le confident de ses émotions. Il voudrait pouvoir être son ami qui l'écoute inlassablement se plaindre de telle ou telle action, répéter les dialogues qui l'ont marquée et se réjouir de ses scènes favorites.

Mais il ne peut pas.

Dépité, il pénètre dans la chambre de la jeune fille. Sans bruit, il se glisse par sa fenêtre dans l'appartement et détaille la couverture de son dernier ouvrage. « L'oasis éternelle » de Luis Montero Manglano. L'ouvrage à la couverture écarlate est placé au-dessus d'un autre à la couverture bleue, du même auteur. Même collection, il suppose.

Le premier gémissement plaintif le tire de sa contemplation. C'est parti. Cassandria ne subira pas ses cauchemars cette nuit, il s'en est fait la promesse solennelle. 

Voyage au pays imaginaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant