Chapitre 20

1 0 0
                                    

Il n'y a qu'un héroïsme au monde : c'est de voir le monde tel qu'il est, et de l'aimer. - Romain Rolland

Avec un grand soupir, Cassandria se décide enfin à franchir la limite entre roches usées par le temps et sable doré. Plus elle s'avance et plus l'ombre de Peter rapetisse, jusqu'à disparaître derrière elle. Ni le Roi des fées ni son ombre ne peuvent la suivre ici. 

Alors que l'Ile du Crâne noir paraît énorme et imposante de l'extérieur, la grotte à l'intérieur est plutôt petite et n'a rien de remarquable. Ce n'est qu'un amalgame de roches noires et de sable. Peut-être est-ce pour que l'attention se porte immédiatement sur l'objet caché dans la grotte. 

Le livre - mais peut-on vraiment appeler ça un livre ? en tout cas, ça en a la forme - qui tient en apesanteur au centre de la grotte doit mesurer deux fois la taille de Cassandria et quatre fois sa largeur pour chaque côté. Ce n'est pas exactement un livre d'ailleurs, il n'est fait ni de papier, ni de cuir, ni d'encre. Non, c'est le sable de la grotte, brillant comme des petites étoiles, qui s'envole du sol pour venir former un cadre, virevolte pour donner l'impression de page qui tournent et cascade pour former les écritures à la surface des pages. Quelque peu intimidée, Cassandria s'avance sans que ses pas ne produisent le moindre son. Examinant attentivement le ballet des grains de sable, elle réprime difficilement un hoquet de surprise. Ce n'est pas du sable. 

Le Livre-de-toutes-les-histoires-inventées-achevées-et-inachevées est fait de poussière de fée, celle-là même qui tapisse le sol de la grotte ! Ceci, d'une certaine manière, explique pourquoi il est le cœur de la magie du pays imaginaire. Il est la source de la poussière de fée, et le détenteur de tous les rêves que Pan apporte aux enfants. Et elle est la Conteuse, la source de la magie du Livre-de-toutes-les-histoires-inventées-achevées-et-inachevées.

Alors qu'elle tourne autour du livre pour l'examiner sous toutes ses formes, Cassandria garde la bouche close. Dès qu'elle commencera à parler, elle ne pourra s'arrêter que lorsque la magie du livre aura été restaurée, Peter l'a bien mise en garde. Et quand elle se replace face au livre, prête à ouvrir la bouche et accomplir sa mission de Conteuse, elle repense à tout ce qu'elle a vécu avec Peter et les enfants perdus pour arriver jusqu'ici, à ce moment précis. Cassandria n'est pas prête à dire au revoir à tout ça, elle refuse de perdre ce qui lui est le plus cher en le partageant avec le Livre. Aussi a-t-elle monté un plan. Mais elle n'y serait jamais arrivée sans l'aide des autres. 

                                                                                   - FLASHBACK - 

- Honnêtement, je préférerais que tu choisisses de rester ici, Dria. Au moins, je te saurais en sécurité. Le sort qui t'attend si tu choisis d'endosser le rôle de Conteuse...je ne le souhaiterais pas à mon pire ennemi. 

- La sécurité c'est pour les gens qui n'ont rien à perdre, réplique-t-elle sèchement. Moi...j'ai tout à perdre si le pays imaginaire disparaît et vous avec...et je sais ce qu'est l'enfer, je l'ai déjà traversé et je le ferai encore sans hésiter si ça me permet de ne plus perdre qui que ce soit. Je ne veux plus me retrouver seule...

Les idées se bousculent dans la tête de Cassandria. Tout se mélange entre les paroles de Peter et les souvenirs des aventures avec les enfants perdus au sein de la bibliothèque. Quand ? Quand sont-ils devenus si importants pour elle, si essentiels à sa vie, que la seule pensée qu'il puisse leur arriver malheur lui donne la rage au cœur et la folle envie de partir en guerre ? 

Au milieu de ce méli-mélo de colère, d'inquiétude et de désespoir, Cassandria a du mal à remettre tout en ordre et à prioriser. Peter ne la presse pas, mais il la regarde avec tellement de crainte dans les yeux qu'elle sait qu'elle doit parler. Le rassurer. Quelque chose, n'importe quoi, pour l'empêcher de paniquer au risque qu'elle aussi se mette à paniquer. Ils n'ont pas besoin de ça... 

- Explique-moi..., sa voix est rauque et désagréable. Elle reprend après s'être râclée la gorge, explique-moi ce qu'est la Conteuse, et comment elle est liée au futur du pays imaginaire. 

Le Roi des fées se mordille les lèvres, gigote et regarde de tous les côtés avant de pousser un soupir si profond qu'il semble contenir le poids du monde. Et c'est peut-être le cas après tout. 

- C'est une longue histoire. Il faut remonter à la création du pays imaginaire pour que tu comprennes les nuances et l'importance de la Conteuse. Et il est déjà tard. 

- Ce n'est pas grave, je veux...

- Il est déjà très tard, coupe-t-il court à ses réclamations. Et nous devons tous deux avoir l'esprit clair pour cette discussion. Je vais t'endormir avec ma poussière de fée et demain soir...demain soir je t'emmènerai au pays imaginaire et je te raconterai tout. Demain. 

Honnêtement, la jeune femme veut protester et réclamer de tout savoir immédiatement. Mais le ton de Peter, et son attitude résignée, sont des signes que cette décision est plus pour son bien à lui qu'à elle. Qui, après tout, voudrait consciemment envoyer l'une de ses amies au cœur du danger ? Certainement pas le Peter Pan qu'elle a appris à connaître. 

- D'accord, acquiesce-t-elle dans un souffle. Demain. 

Voyage au pays imaginaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant