Jeudi 14 janvier 1/3

6 3 1
                                    


2h du matin, Urval, maison des Valentier

Louise se précipita vers le téléphone et composa le 17.

- La police ? C'est madame Valentier. Il faut que je parle de toute urgence à l'inspectrice Palache.

- Euh... elle n'est pas de service, mais je peux vous donner son numéro de téléphone personnel, ou alors lui faire passer un message.

Un bruit sourd se fit entendre. L'unique fenêtre de la pièce venait de se briser. Une ombre aux courbes élancées et féminines était assise sur le rebord. Elle sauta de celui-ci et atterrit comme une plume sur le parquet du bureau. Elle avait un doigt sur la bouche et mimait le silence.

- Trop tard, dit Louise Valentier. S'il te plaît, non..., dit-elle dans un souffle.

Après ces quelques mots elle raccrocha brusquement le téléphone.

Au fond de la petite pièce se trouvait un étalage avec la collection de baseball de monsieur Valentier, décédé il y a plusieurs années. La cause de sa mort, un suicide. La mystérieuse fille s'empara de la batte et frappa la pauvre femme au niveau de la nuque. Le choc fut d'une telle violence que celle-ci se brisa d'un coup, ce qui tua sur le champ madame Valentier, que cette réapparition soudaine et inattendue avait laissée sans réaction.

Soudain, on entendit les sirènes de police, elles se rapprochaient à une vitesse hallucinante.

La meurtrière ne pouvait passer par le jardin de peur de se faire attraper. Elle aperçut une petite porte, l'ouvrit et découvrit un escalier qui devait sûrement mener aux anciennes chambres de bonnes. Elle s'y glissa et le descendit dans l'obscurité totale. Les marches étaient humides et raides. Un seul faux pas et c'était la chute, qui, vu l'étroitesse du chemin, pouvait lui être fatale.                    

À la fin de cet escalier interminable se trouvait une large pièce, où se trouvaient de nombreux établis avec des cuisines datant sûrement du Moyen-Âge vu leur état.  

La fugitive fut beaucoup plus attirée par la trappe par terre que par toutes ces vieilleries. Elle courut jusqu'à la petite planche en métal et tira la poignée en fer qui était très lourde. Après qu'elles se furent battues quelques minutes, c'est finalement la petite porte qui céda. La fille s'engouffra dans le tunnel et referma la trappe au moment où les sirènes de police s'arrêtaient. Ils étaient bien venus pour elle et elle avait eu de la chance qu'ils aient été un peu lents.

Le souterrain sentait très mauvais, comme si un cadavre y avait moisi, mais il faisait aussi très froid. Elle continuait à courir. Dans la précipitation, elle glissa à plat ventre, sa tête se retrouva dans une substance plus qu'étrange. Rien qu'à l'odeur elle reconnut directement.... c'étaient les égouts. À cette idée elle fut prise d'un énorme haut le cœur. Mais il ne fallait pas la ralentir, la police était peut-être déjà sur ses traces.

Elle avait perdu la notion du temps. Depuis combien de temps courait-elle ? 20, 30 minutes ?  Tout à coup, elle entendit comme une grosse secousse. Prises de tremblements incontrôlables, ses jambes lâchèrent. Après quelques minutes, le bruit horrible s'arrêta et c'est là que la meurtrière réalisa que ce n'était que le métro qui passait. Alors que tout lui semblait perdu, sans issue, elle aperçut enfin une bouche d'égout. Elle se releva difficilement et c'est essoufflée qu'elle la fit coulisser à l'aide d'un couteau qu'elle avait gardé coincé dans sa ceinture. Elle grimpa et se retrouva enfin à l'air libre dans une petite ruelle abandonnée où se trouvaient des immeubles délabrés aux vitres cassées. Il fallait qu'elle rentre chez elle sans trop attirer l'attention. Mais avant elle devait jeter ses vêtements dans une benne à ordures.                            

Arrivée au bout du petit chemin devant les poubelles, elle attrapa son sac à dos, et mit ses vêtements propres mais l'odeur immonde ne passerait pas inaperçue. Comme si son ange gardien l'avait entendue, les gros nuages sombres qui menaçaient la ville depuis quelques heures déjà explosèrent. Elle se lava donc à l'eau de pluie et quitta la ruelle.

Au croisement d'un boulevard se trouvait un tabac dans lequel elle alla pour boire un verre — elle en avait bien besoin.

- Que veut la petite demoiselle ? demanda le barman

- Un scotch, si le petit monsieur est d'accord.

- Ouah... pas très commode !

- Elle est claquée alors magne-toi !

C'était la fin de son service et il n'avait pas envie de se battre avec une cliente sur les nerfs. Alors il lui servit son scotch et lui donna l'addition.                                 Elle attrapa le verre, le descendit comme un verre d'eau, puis paya le barman.

En sortant du bar, elle tourna à gauche, puis à droite, et arriva près d'une station de bus. Elle attendit le 144. Il fut en avance, ce qui l'arrangea beaucoup. Assise au fond du bus avec les écouteurs fixés dans les oreilles, elle s'endormit en pensant à sa terrible enfance qui l'avait rendue si ignoble, mais, en même temps, elle se sentait bien car la responsable avait payé. Les stations semblaient s'enchaîner à une vitesse folle, le terminus arriva donc rapidement.  Elle se réveilla et marcha jusqu'à sa rue.

Après une heure de bus et une petite marche, elle était enfin dans son quartier, entourée par les petits immeubles familiers —qui avaient vraiment besoin d'un ravalement de façade—, par les vieilles usines aux vitres cassées et aux grandes échelles appuyées contre les murs qui à tous moments menaçaient de s'écrouler. On pouvait entendre les chiens sauvages s'époumoner et sentir une odeur à décrocher le papier peint.                                                                                                                Il est vrai que son quartier n'était pas très agréable mais c'est le seul endroit dans lequel elle avait trouvé un studio pas cher.

Son immeuble était une petite bâtisse en briques rouges, avec une façade taguée de partout, sûrement par les petits voyous du quartier. Elle monta les cinq étages à pied. Devant sa porte, sur son palier, se trouvait un pot de fleurs ; c'était pour donner un peu de gaité à cet endroit sinistre mais, surtout, pour cacher la clef de son studio, qu'elle avait tout le temps peur de perdre.

Son studio n'était pas très grand : un salon qui lui servait de chambre, un coin de douche et une petite cuisine. La taille de la pièce était réduite à cause des nombreux emballages de pizzas, du linge sale étalé et des cigarettes écrasées par terre ou dans le cendrier. Il faut dire que sa coloc Sophie n'était pas une personne d'une grande propreté.

Quand elle entra, des effluves de pancakes qu'avait préparés Sophie l'attirèrent jusqu'à la kitchenette.    

- Coucou, dit-elle.

- Hey !

- Tu as finis tes affaires ?

- Oui, répondit Sophie les yeux dans le vague.

- Ça c'est bien passé ?

- Tu sais très bien que, pour notre sécurité à toutes les deux, on n'en parle pas, Florine !

Sophie avait raison. Un an auparavant, son frère, Yanis, avait partagé avec ses amis qu'il dealait pour un gang réputé pour sa violence et son impitoyable chef dont personne ne voulait croiser la route. Une nuit, une descente de police avait eu lieu, les amis du frère de Sophie ,voyant l'opportunité de se faire une belle somme d'argent, avaient aidé les flics à localiser Yanis. Malheureusement, celui-ci avait refusé de se rendre et s'était pris une balle au niveau du poumon. Les médecins avaient tout tenté pour le sauver. Yanis vivant pouvait faire tomber le gang le plus recherché ! Un soir, un des médecins de garde l'avait retrouvé mort. Une enquête avait été menée et classée sans suite. Les autorités n'étaient pas stupides, elles savaient très bien qu'il n'était pas mort seul et qu'on l'avait aidé. Le monde de la drogue est cruel et, s'il faut sacrifier une personne du groupe pour sauver le reste, on n'hésite pas.

Sophie ne s'était jamais remise de cette mort par trahison. Pour venger son frère, elle avait décidé de reprendre le flambeau et s'était juré de faire payer à ces prétendus « amis » le décès de son frère, car même si il n'avait pas été malin de raconter à qui veut l'entendre qu'il dealait, il était du même sang qu'elle. Pour elle la famille c'était sacrée, car comme elle dit, à la fin il ne reste plus qu'eux.

Dans sa peau Où les histoires vivent. Découvrez maintenant