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Miroir

J'étais parfait. On aurait pu me comparer à un être divin. Je cochais toutes les cases que la société imposait sur les critères de beauté.

Mes cheveux, constamment ébouriffés étaient aussi sombres qu'une nuit sans lune ni étoiles. Ils contrastaient avec ma peau diaphane et sans défaut me rendant ainsi aussi pur que dangereux. Ma mâchoire carrée rendait mon visage strict alors que mes yeux aussi bleus qu'un ciel d'été donnaient à mon visage un regard innocent. Mon nez droit pouvait me rendre froid tandis que mes lèvres pleines et charnues rendaient mon sourire charmeur et sexy. Les gens me trouvaient tour à tour mystérieux et envoûtant.

J'étais le parfait équilibre entre le mal et la pureté.

Personne n'était insensible à mon physique, tout le monde se permettait de me regarder avec plus ou moins de discrétion mais, lorsque je les approchais, ils étaient incapables de soutenir mon regard plus de dix secondes. J'inspirai la crainte mais j'avais le privilège d'être beau alors j'avais ce pouvoir d'attraction. Dans les films américains, j'aurais pu avoir le rôle du badboy. Ils étaient tous en admiration devant ma beauté et ne se doutaient pas un seul instant qu'à mes yeux cette beauté représentait une malédiction. Elle n'était qu'un artifice, le produit des nombreuses opérations que j'avais subies...

Je dénouai la serviette autour de mes hanches et elle tomba au sol, me laissant le loisir de me regarder dans ma plus simple tenue. Ce corps qui était, aux yeux des autres, une bénédiction, n'était pour moi qu'un fardeau, un supplice, un calvaire. Il ne m'appartenait pas, il n'était pas moi, il me dégoûtait mais je devais faire semblant au risque d'encore entendre leur remarque sur la folie dont je faisais preuve en rejetant ma perfection.

Aujourd'hui je n'étais rien d'autre qu'un mec qui était forcé de suivre les codes de la société, d'entretenir son corps pour le garder musclé et de ne pas me plaindre de cette beauté pour ne pas m'attirer les foudres des rejetés de cette société superficielle. Je savais qu'il était plus simple de s'en sortir quand notre capital beauté était déjà haut mais n'avions-nous pas notre mot à dire, n'avions-nous pas le droit de complexer sous prétexte que nous répondions aux critères ?

Je finis par couvrir mon torse d'un pull à col roulé noir et mes jambes d'un chino crème. Mystérieux, chic, sensuel, voilà comment les gens allaient encore me voir. J'aurais aimé avoir leurs yeux mais il m'était impossible de me détacher de cette idée que j'étais prisonnier de mon propre corps. Oui, voilà comment je vivais cette beauté, j'avais l'impression d'être enfermé.

Mon regard ne quittait pas mon reflet. J'étais incapable de quitter des yeux mon cauchemar, je n'avais plus le contrôle, j'étais comme hypnotisé alors, quand trois coups résonnèrent à ma porte, je ne répondis pas. De toute façon, cela ne pouvait être qu'Alessandro, mon frère adoptif et avec ou sans autorisation, il allait rentrer.

— T'es prêt ? Faut qu'on y aille.

— J'arrive.

Il me regardait enfin, il observait mes yeux à travers mon reflet, il avait un sourire en coin, dans quelques instants il sortirait une ânerie, je le savais, je le connaissais.

— Je vais finir par t'appeler Narcisse, déclara-t-il simplement avec un ton empreint de moquerie.

Il sortit de ma chambre et je restai là, à me contempler. J'aimerais qu'il sache que je voudrais finir comme Narcisse, si seulement il m'était possible de tomber amoureux de mon reflet au point d'en mourir...

Je réussis à sortir de mes pensées et rejoignis mon frère. Il était déjà installé dans sa décapotable, une main sur le volant, l'autre sur la portière, ses cheveux blonds bougeant au rythme de la brise du soir.

Beauté Mortelle {TERMINÉ} Où les histoires vivent. Découvrez maintenant