II

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Réunion de famille

Le taxi me déposa à une dizaine de minutes du cimetière. J’avais envie et besoin de faire ce chemin à pied. Cette nuit semblait être comme toutes les autres. La lumière des lampadaires chassait l’obscurité et quelques voitures brisaient le calme ambiant. Tout se déroulait normalement et pourtant aujourd’hui était un jour spécial, un jour de deuil. Cela faisait cinq ans jour pour jour que ma vie avait changé, qu’elle avait pris un nouveau tournant, qu’un obstacle l’avait fait dévier de sa trajectoire me transformant aussi bien de l’intérieur et de l’extérieur. Rien n’avait plus était pareil, il m’avait été impossible de rester le même.

Cette route de la mort me fit replonger dans mes souvenirs, comme si ces cinq dernières années n’avaient jamais eu lieu, comme si j’étais encore sur la banquette arrière de notre voiture. Je revoyais ma petite sœur, endormie à côté de moi, ma mère sur le siège passager était en train de lire et mon père se tenait derrière le volant. Nous revenions d’un week-end au bord de la mer, l’école allait reprendre le lundi suivant mais nous n’y pensions pas, nous profitions simplement de ces derniers jours de vacances. Je regardais par la fenêtre les éclairages de la ville, j’étais surpris de voir à quel point le ciel était sombre, aucune étoile ne venait éclairer notre univers et la lune était dissimulée derrière d’épais nuages. Des arbres bordaient les trottoirs, ils n’avaient pas encore perdu leurs feuilles.
Je secouai la tête, remonter le temps n’était pas une bonne idée et puis, même si tout était similaire il manquait un élément clé : le chauffeur ivre mort qui conduisait à contre-sens.

J’étais revenu à la réalité mais les images continuaient de s’entrechoquer dans mon esprit. Les voitures qui se rencontrent, les corps qui volent mais qui sont rattrapés par les ceintures de sécurité, les airbags qui se déclenchent, le sang qui coule. Je revivais l’accident, j’avais l’impression de me prendre une claque, tout paraissait si réel, j’en tombais au sol.

Mon cœur battait à tout rompre, mon sang pulsait dans mes veines, j’avais chaud et je tremblais. Tout cela était bien trop dur à supporter. Jamais je n’aurais dû avoir besoin de venir ici car jamais ce jour n’aurait dû être la date noire de mon calendrier. Des larmes dévalaient mes joues, ma vue se brouillait, j’étais l’ombre de moi-même. Il fallait pourtant que je me ressaisisse. Je portais mes mains à mes yeux pour sécher les preuves de ma douleur et regardais autour de moi. Mon regard se posa sur des fleurs qui avaient poussées près d’un arbre. Sans chercher à savoir si j’avais le droit, je les cueillis, je ne voulais pas avoir les mains vides devant eux. Ce petit bouquet était ridicule mais à cette heure, je ne pouvais rien avoir d’autre.

Je me remis en marche, je longeai la rue tel un fantôme qui chercher à éviter son passé. Je m’arrêtai devant cette pancarte que je connaissais bien, « Cimetière du Père Lachaise ». Ma gorge s’assécha, je devais vaincre cette boule qui avait pris ses quartiers dans mon ventre. Un éclat de rire perça le silence. Je me retournais mais personne n’était présent, même les voitures avaient disparu. Ce n’était que moi, mon système nerveux déraillait. J’avais perdu ma famille juste ici, devant ces grilles avant l’arrivée des secours.

J’escaladai les grilles de ce lieu macabre, mon minable bouquet de fleurs à la main. Le silence m’accompagna et plus je m’éloignai de l’entrée plus il faisait sombre. Mon environnement reflétait à la perfection la pénombre dans laquelle je me trouvais en mon for intérieur. Je continuai mon chemin jusqu’à atteindre cette tombe.

« Marc Dumont 1985-2015
Catarina Dumont née Martinez 1988-2015
Iris Dumont 2000-2015 »

Du bout des doigts, j’effleurai les différentes gravures. Je regardai les décorations funéraires, déposées lors des obsèques par cette famille qui n’avait jamais réussi à me regarder dans les yeux, cette famille qui m’avait laissé à l’orphelinat, cette famille qui m’avait tourné le dos parce que j’étais le seul survivant. J’avais dix-sept ans, j’étais perfusé partout où je pouvais l’être, mon corps était couvert de bandage, ma mâchoire était bloquée, je n’avais rien pu faire à part tous les regarder partir, les uns après les autres, impuissant. J’avais dix-sept ans et ils m’avaient tourné le dos.

Beauté Mortelle {TERMINÉ} Où les histoires vivent. Découvrez maintenant