15 décembre : je t'aime moi non plus

1.6K 99 45
                                    

Pierre avait passé la nuit à l'hôtel et en se réveillant le lendemain, il réalisa que sa vie était réellement en train de lui échapper sans qu'il ne puisse rien y faire. Il se dévisagea dans la glace de la salle de bain et il prit peur tant il ne reconnaissait pas le visage qui lui faisait face. Il apparaissait fatigué, négligé, vieilli. Son teint demeurait blafard suite à l'énorme quantité d'alcool qu'il avait ingurgité il y a deux jours et dont son corps se remettait difficilement. Ce n'était pas faute d'avoir dormi toute la journée d'hier, mais il ne pouvait faire passer cette sensation nauséeuse qui l'empêchait d'avaler le moindre morceau sans avoir envie de tout dégobiller.

Le blond se décida néanmoins à prendre une douche froide car il savait qu'il ne pouvait se permettre de louper une journée de travail en plus. Il allait déjà devoir faire face à de nombreux questionnements suite à son absence injustifiée et à vrai dire, il était tout sauf prêt.

Une fois plus ou moins présentable — de toute façon il ne pouvait faire des miracles — il se rendit à Maison Grise le cœur lourd. Il ne savait pas ce qu'il redoutait le plus d'y trouver là-bas : ses amis et collègues qui ne manqueraient pas de s'inquiéter pour lui ou bien d'y voir Benjamin en sachant que rien ne serait plus jamais comme avant.

oOo

Il entra en catimini dans la maison, en espérant croiser un minimum de personnes, mais c'était sans compter sur Fred qui faisait le pied de grue tout en discutant avec Benjamin, un air sérieux plaqué sur le visage. Merde.

— Viens par là Pierre, tu ne vas pas y échapper toi non plus, lança l'arbitre en guise de bonjour. Ce n'était vraiment pas sérieux de manquer une journée de travail sans prévenir, surtout juste après un week-end. Ben vient déjà de m'entendre...

En effet, le brun avait l'air de faire profil bas et il évitait toujours de croiser son regard. Pierre répondit, dans l'incompréhension :

— Attends, mais qu'est-ce que Ben a à voir là-dedans ?

— C'est bon Pierre, arrête ce n'est pas drôle. Je sais que vous étiez ensemble à faire la teuf dimanche soir et que c'est pour ça que vous n'êtes pas venus tous les deux le lendemain. Ben vient de me le dire. Il va falloir se reprendre les gars, il faut faire tourner la boîte.

Le blond en resta muet. Il ne comprenait pas pourquoi Benjamin le couvrait alors que c'était entièrement sa faute s'ils n'étaient pas venus travailler. Il se sentait vraiment coupable. Pendant ce temps-là, Fred poursuivait :

— ... donc en attendant, je vous ai préparé un nouveau concept que vous allez tourner maintenant pour la chaîne de Ben. Ça fait un moment que vous n'avez pas posté une vidéo tous les deux.

Il vit son ami se fermer à l'annonce du temps qu'il allait devoir passer avec lui, alors il essaya d'arranger les choses :

— Tu es sûr qu'on doit faire ça maintenant ? Je veux dire ça peut attendre...

— Pierre ! Tu tiens vraiment à ce que je m'énerve encore plus ?

Ils se dirigèrent donc vers le studio du brun en silence, aucun des deux n'osant briser la glace. S'installant chacun à une des extrémités du canapé, ils entamèrent la lecture du script que leur avait laissé Fred.

oOo

La vidéo qu'ils allaient tourner allait consister à l'analyse de plusieurs tweets d'abonnés racontant leur pires anecdotes de soirée. Tiens, comme par hasard... Au moins, ce n'est pas quelque chose qui demande beaucoup d'effort.

Toujours sans lui avoir adressé le moindre mot, Benjamin démarra l'enregistrement en le prévenant seulement par un décompte. Comme c'était étrange de se tenir aussi proche d'une personne et pourtant de ne s'être jamais senti plus éloigné d'elle.

— Hola a todo el carrrrrtel de la luna ! Et aux autres aussi hein, on ne laisse personne, sur le bord, de la route, entama le youtubeur avec sa phrase d'accroche habituelle. Aujourd'hui, nous nous retrouvons pour commenter vos pires anecdotes de soirées. Pour cela, vous vous doutez bien que je ne me trouve pas seul. J'ai ici avec moi un connaisseur, champion de beer-pong, recordman des pires cuites ever, j'ai nommé : Pierre Croce !

Il fit un geste pour le présenter et le blond enchaîna aussitôt pour que cela ne paraisse pas étrange aux abonnés :

— Ben, on avait dit pas d'anecdotes personnelles ! lança-t-il.

— Tu as raison, aujourd'hui on aura largement de quoi faire avec celles de ma YouTube community ! Rentrons directement dans le vif du sujet !

Pendant une heure environ, ils firent ce qu'on attendait d'eux, mais l'un comme l'autre pouvait sentir que rien n'était comme avant. Ils avaient l'impression de jouer des rôles qui ne leur correspondaient plus. Le lien qui les unissait auparavant était fragile, si ce n'était inexistant.

Il y eut seulement un moment où ils crurent, l'espace d'un instant, pouvoir faire comme si de rien n'était. À la suite d'une blague de Pierre, ils riaient à gorge déployée, quand le blond posa sans s'en rendre compte sa main sur la jambe de son voisin. Aussitôt, le brun se stoppa net et se décala légèrement. Sans se concerter, ils surent que la scène serait coupée au montage.

oOo

C'était fini et le silence emplissait de nouveau la pièce, Pierre trouvait cela angoissant. Benjamin aussi apparemment puisqu'il se démenait avec plusieurs câbles emmêlés et commençait à s'énerver, lui qui était si patient d'habitude. Alors le blond arriva derrière lui et l'aida dans son entreprise.

Dos contre dos, il pouvait sentir la chaleur qui émanait du brun et son parfum qui lui manquait tant. Une fois de plus, ce dernier s'éloigna comme s'il s'était brûlé et Pierre se décida enfin à lâcher ce qu'il avait sur le cœur :

— Merde à la fin ! Je te dégoûte tant que ça pour que tu aies envie de partir à l'autre bout de la pièce au moindre contact entre nous, même accidentel ?

— Pierre, soupira-t-il. On en a déjà parlé...

— ... non justement, le coupa-t-il. On n'en a pas "parlé" ! Je te rappelle que quand je suis venu t'avouer ce que je ressentais, tu m'as d'abord claqué la porte au nez pour au final me dire de façon indirecte que si je n'étais pas capable de passer à autre chose, on ferait mieux de couper les ponts tous les deux. Je te vois venir, ne me dis surtout pas de me calmer parce que ça ne fera qu'aggraver les choses. 

Sa voix se brisa sur ces mots et il sentit qu'il était sur le point de craquer. Il continua néanmoins, il avait trop besoin de se décharger.

— Avec toi, Ben, je suis perdu. Tu me laisses entrevoir un moment qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous, pour ensuite me rejeter complètement. Je sais que ta dernière relation t'a énormément fait souffrir et que tu en garderas toujours une marque, mais je ne te laisserai pas croire que ce sera la même chose avec la prochaine. Sérieusement, qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Je reconnais que je peux être un boulet, surtout quand je bois trop. Je suis peut-être chiant, trop envahissant, pas assez bien pour toi mais tu ne trouveras personne qui t'aime plus que moi, c'est certain. Et je t'interdis de me dire que ça va me passer, que ce n'est qu'une phase, parce que quand on tombe amoureux de quelqu'un comme toi ça ne passe pas, tout simplement.

Benjamin en resta muet de stupeur. Il n'avait jamais imaginé la portée des sentiments du blond, ni même que ça l'atteindrait autant, certainement parce que cela réveillerait ceux qui étaient enfouis en lui. Il vit le regard triste de Pierre et il ne put s'empêcher de le prendre dans ses bras. Après tout, il pouvait bien s'accorder un peu de temps avant de l'éloigner définitivement, non ?

25 jours pour le séduireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant