Chapitre 34

104 13 7
                                    

Mercy sentit une intense sensation d'oppression lui broyer l'estomac. Jay lui avait dit la vérité. Que c'était dur à imaginer ! Elle n'était pas prête à laisser le pardon effacer la haine qui obscurcissait son cœur depuis presque cinquante ans. C'était bien trop difficile.

-Il n'a pas menti, souffla-t-elle.

Elle était trop choquée pour en vouloir à sa mère. En cet instant, la princesse n'en avait rien à faire que Régina eut préféré garder toutes ces révélations pour elle ces sept dernières années. Elle pouvait aisément imaginer l'emprise qu'avait eu Althaïr sur elle, même depuis l'au-delà. Il était difficile de défaire des habitudes si finement tissées.

La jeune femme avait dû rester un long moment immobile puisque son interlocutrice la dévisagea avec inquiétude.

-J'espère que tu ne vas pas me détester encore davantage.

La nymphe fronça les sourcils.

-Je ne pense pas vous détester, mère. Et puis, je suis un peu anesthésiée, là, tout de suite. Pourquoi avez-vous tant attendu ?

-J'avais peur de ta réaction, répondit-elle en haussant les épaules. La période était extrêmement difficile pour toi, je ne voulais pas en rajouter.

Mercy secoua la tête.

-Vous pensiez vraiment que c'était la solution ? Vous m'avez laissé croire qu'il m'avait abandonnée. Que lui aussi m'avait tourné le dos.

Voyant les yeux de sa fille se remplir de larmes, la reine amorça un mouvement qu'elle n'avait pas fait depuis des siècles. Elle s'avança un peu, écarta les bras et enlaça tendrement son enfant. Elle avait délibérément laissé le temps à la jeune femme de se dégager si cette marque d'affection la dérangeait.

-Je suis tellement désolée, souffla-t-elle.

Elles restèrent dans cette position un long moment. L'une comme l'autre profitait de cet instant qui ne se reproduirait probablement pas de si tôt. Faire la paix ne signifiait pas compenser des années d'absence en un claquement de doigt, mais elles avaient l'intention de faire des efforts, chacune de son côté.

Les deux nymphes ne se séparèrent que lorsque de brefs coups furent portés contre la grande porte. Régina se leva et lissa le tissu de sa robe. Elle se racla la gorge et laissa sa voix porter :

-Entrez.

Un soldat apparut, la mine grave. Il les salua respectueusement.

-Votre Majesté. Votre Altesse.

-Que se passe-t-il ? le pressa-t-elle. J'avais explicitement demandé à n'être dérangée qu'en cas d'urgence

L'homme se tassa sur lui-même face à ce ton sec et autoritaire.

-Je... Je suis sincèrement navré, Votre Majesté. Vous aviez demandé à ce que toute nouvelle concernant les natalités vous soit transmise rapidement. J'ai un message du Guérisseur en chef de l'infirmerie. Emia a fait une fausse couche. Il souhaite s'entretenir avec vous à la première heure demain matin pour discuter de ce sujet.

-Bien, je te remercie. Tu peux retourner à ton poste et dire au guérisseur d'être dans la salle du conseil à dix heures tapantes.

La nymphe acquiesça et s'éclipsa sans demander son reste. La reine commença à faire les cent pas, mordillant la pulpe de son pouce, signe de son inquiétude. Mercy n'eut guère besoin de beaucoup d'analyse pour comprendre que l'heure était grave.

-Vous me semblez particulièrement inquiète, mère. La situation a-t-elle à ce point empirée ?

La guérisseuse acquiesça solennellement.

-Plus que tu ne le crois. J'ai fait faire des statistiques chaque mois depuis plusieurs décennies. Du vivant de ton père, je gardais cela secret. Mais à présent ce n'est plus nécessaire. Nous subissons une chute drastique du nombre de grossesse. Je ne m'en alarmerai pas outre mesure si cela n'était pas lié à une augmentation presque aussi importante de fausse couche. Il se passe quelque chose de grave.

La princesse fronça les sourcils, pensive.

-Vous n'avez absolument aucune idée de ce qui pourrait avoir provoqué ces fluctuations ?

-Non, nous avons pourtant suivi différentes pistes, émis force hypothèses, mais rien ne tient la route. Nous avons fait des recherches, l'assemblée des guérisseurs et moi-même, sur la possibilité d'un virus qui soit facteur d'infertilité. Mais rien. C'est d'ailleurs très frustrant.

-Tout à l'heure vous m'aviez bien dit que vous aviez un frère. Y a-t'il souvent des foyers avec deux enfants ?

Régina prit le temps de réfléchir afin d'être sûr de ne pas dire d'ânerie. Elle sentait au ton de sa fille que celle-ci avait le début d'une idée en tête.

-Rarement. Il me semble avoir lu un jour qu'il y a fort fort longtemps cela était le cas, mais plus maintenant. Je ne crois d'ailleurs avoir eu connaissance de seulement trois ou quatre cas de ce genre parmi les nymphes ces six cent dernières années.

Mercy acquiesça silencieusement.

-Je voudrais avoir l'autorisation d'accéder aux archives royales. Je ne sais pas si elles ont été réouvertes depuis le décès de pères, mais j'aimerais pouvoir faire quelques recherches. Il doit bien y avoir quelque chose au fond de ces livres poussiéreux. Je continuerai bien sûr mes patrouilles en parallèle.

-Fais, fais. Elles ne sont plus verrouillées, simplement très bien gardées. Je ne m'y suis jamais rendue, il est possible que tu trouves des informations. Je l'espère de tout cœur. La survie de notre espèce est bien trop en jeu.

RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant