Chapitre 2: Noé

700 84 16
                                    

Vendredi 16 Août 2019:

Noé:

    Je range mon livre dans ma valise. Après trois semaines passées dans cette clinique, aujourd'hui est le jour de mon départ. C'est étrange de me dire que je vais quitter cette chambre au mur vert pomme et ce mobilier en bois. Elle est minimaliste, avec juste un lit une place, une table de chevet à côté et un petit bureau, ainsi qu'une commode. Je pense qu'elle va me manquer. Aussi absurde que cela puisse paraître, ce lieu va me manquer. Ici, j'étais entouré, constamment avec quelqu'un, sauf dans ma chambre.

    C'était mon choix de venir là, de me faire « interner ». Après le départ de Sam et Adriel, j'étais seul. Je venais de perdre mes repaires si durement acquis durant ces derniers mois. Camille a disparu du jour au lendemain, en donnant à peine des nouvelles. Alors je suis retombé dans ma vieille amie, la dépression. Lorsque je suis allé voir mon médecin traitant, j'étais au point de non-retour. Il m'a suggéré un séjour de rupture. Ce n'était pas mon premier baptême de l'air. Je sais que j'avais besoin de cette coupure.

    En à peine deux jours, mon hospitalisation était bouclée. Je n'ai prévenu personne. Cela n'aurait servi à rien. Adriel et Sam n'étaient pas là et les inquiéter alors qu'ils étaient à plusieurs centaines de kilomètres, n'aurait rien changé.

    Je ne dis pas que ces trois semaines ont été miraculeuses mais elles m'ont fait du bien. Je voyais le psychiatre tous les matins. L'après-midi, je faisais diverses activités, comme du dessin, de la gym douce, de la musicothérapie, des groupes de paroles et de la lecture. J'ai vraiment le sentiment d'aller mieux, d'avoir remonté la pente.

    Je n'avais pas fait de crise depuis presque un an. La rencontre avec Adriel, Sam et Camille, m'a aidé à me soigner. Je ne suis pas guéri complètement de mon mal-être et de mon passé, malgré tout j'avance. Ma sortie m'effraie, parce que je vais de nouveau être seul. Mais je vais pouvoir mieux appréhender la suite, car je sais que mes amis vont rentrer dans deux semaines.

    Ma manière de penser n'est pas correcte pour ma mère. Elle m'a toujours élevé seule et aujourd'hui, elle se sent dépassée. Je n'ai jamais voulu lui créer autant de soucis. Elle a déjà sacrifié tant de choses pour moi. Cette décision, je l'ai prise pour elle également. Dans ces moments de « crise », je passe mes journées dans mon lit à pleurer, je ne fais rien d'autre. Je ne voulais pas lui imposer cette vision, une nouvelle fois. Nous l'avons déjà trop vécu. C'est elle, qui vient me chercher tout à l'heure et je veux qu'elle voie mon changement.

    Je boucle ma valise, puis m'assois sur mon lit. En refaisant le point sur ma première année de fac, je me suis rendu compte que j'ai fait d'énormes progrès. Je n'avais pas mis les pieds dans un établissement scolaire depuis presque trois ans. Alors que cette année, j'assistais à certains cours obligatoires pour ma licence. C'était impensable pour moi avant. Ma rencontre avec mes trois amis a tout changé. Parce qu'ils m'ont aidé et soutenu.

    Je ne me sens pas encore de suivre une scolarité complète à la fac, mais dès la rentrée, je vais venir encore plus souvent. Le reste se fera, comme jusqu'à maintenant, par correspondance.

    Des coups contre ma porte résonnent. C'est forcément ma mère et mon médecin. Contrôle de sortie obligée.

- Oui ?, je demande.

    Mes yeux s'écarquillent et des larmes coulent instantanément sur mes joues. Adriel et Sam sont là, devant moi. Mes épaules s'affaissent, ma tête rentre dans mon cou. J'ai honte qu'ils me voient ici.

- Salut Noé, me dit Sam.

    Ma langue pèse une tonne dans ma bouche. En une seconde, mon ami m'étreint, me serrant fort dans ses bras. Je me laisse aller contre son torse. Avant eux, jamais je n'aurais été capable de faire un câlin à un autre garçon. Je pleure dans le cou de Sam. Adriel nous observe depuis la porte, qu'il a refermé derrière lui. Il me sourit.

- Tout va bien Noé, me souffle l'Asiatique.

    Aussi banale que cette phrase puisse être, elle me fait du bien. Je le crois. Rien que leur présence me rend heureux au plus au point. Ils sont revenus, pour moi. Je réalise la chance que j'ai de les avoir dans ma vie. Ils ne jugeront pas ma présence dans une clinique psychiatrique. Même si une part de moi, en a honte.

    Adriel s'approche de nous et s'assoit à mes côtés. Une main réconfortante sur mon épaule, pleine de soutien.

- Tu veux nous expliquer ?, attaque-t-il directement.

    Je n'ai pas besoin de regarder Sam pour savoir qu'il lui fait les gros yeux. La franchise d'Adriel ne m'offense pas. Sans lui, je crois que je n'aurais jamais autant avancé. Lorsque nos yeux se croisent, j'y vois toute l'inquiétude qu'il me porte. Mentir n'est pas la solution et puis, si ils sont là, c'est qu'ils savent une partie de l'histoire.

    Sam desserre son emprise sur mes épaules. Il dégage une de mes mèches brunes de mon visage, avant d'embrasser mon front. Les seuls garçons dont j'accepte les contacts physiques.

- C'est à cause de..., commence Adriel avant que je le coupe.

- Non !, je m'empresse de crier.

    Une douleur à la poitrine se fait ressentir à cette allusion. Je ne manque pas de remarquer le regard noir qu'adresse Sam à notre ami.

- Ce n'est pas ça, je reprends le coeur tambourinant dans ma cage thoracique. J'ai eu une...petite rechute. Rien de grave.

- Rien de grave ?, répète l'anglais en hurlant.

- Ad, le prévient Sam d'une voix calme. S'énerver ne nous mènera nulle part.

    À l'entente de cette phrase, il se calme instantanément. Leurs yeux se croisent et ils semblent communiquer à travers. Une chose qu'ils font souvent, sans s'en rendre compte. Le problème, c'est qu'Adriel est comme un volcan prêt à entrer en éruption et seul Sam est capable de calmer cette tempête.

    Je baisse la tête, honteux, tout en me raccrochant au vêtement de mon ami. De nouveau, je me retrouve à pleurer dans son cou. Il frotte mon dos et je dis dans une litanie, à quel point je suis désolé. Je sens une autre main sur mon épaule. Adriel nous a rejoints. Il ne manque plus que Camille. J'aimerais tant le voir mais je ne sais pas où il est.

    Encerclé de deux de mes meilleurs amis, je reprends contenance et les larmes tarissent. Je suis obligé de me racler plusieurs fois la gorge avant de pouvoir parler. Une question primordiale vient de me traverser l'esprit.

- Comment avez-vous su que j'étais là ?, je leur demande, les yeux rivés sur mes pieds.

    Je devine, plus que je ne le vois, l'échange silencieux entre eux. Des doigts fins effleurent ma joue.

- C'est ta mère qui l'a dit à la grand-mère de Sam, m'apprend Adriel.

- Vous deviez rentrer bien plus tard, j'enchaîne.

- Noé, m'appelle tendrement Sam. Tu es beaucoup plus important que tout le reste. Tu as besoin de nous, nous rentrons.

    Ses mots me touchent au plus haut point. Je déglutis avec difficulté, pour empêcher les sanglots de sortir de ma bouche. Malgré mes tentatives, une goutte d'eau arrive à s'échapper de mon oeil. Même si une bouffée de bonheur et de bien-être m'étreint, en écho au bras de mes amis, j'ai envie de leur hurler : où est Camille alors ? Et pourquoi nous ignore-t-il depuis le début de l'été ?

Pour notre AvenirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant