Quand tu avais l'âge

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Cet homme. Il a toujours veillé sur toi. Depuis ta plus tendre enfance. Devant ton berceau, il était là. Il t' observait avec un petit sourire rassurant. Et tu grandissais avec lui, toujours à tes côtés, quoi qu'il arrive.

Quand tu avais l'âge d'apprendre à marcher, un jour, tu jouais dans le salon sur le tapis avec tes petits jouets. Il était là, toujours souriant, assis dans le divan en t'observant. Qui il était et d'où il venait n'avait aucune espèce d'importance pour toi.

Quand tu avais l'âge d'apprendre l'alphabet, un jour, tu étais très triste. Tu venais de voir un moineau inerte sur la route, près de ta maison. Il y avait une flaque rouge autour de lui. Des frissons te parcouraient le corps et tes extrémités étaient gelées. Ton cœur aussi d'ailleurs. Et puis tu relevas la tête et tu le vis. L'homme te regardait avec un regard incroyablement attendrissant qui a apaisé ton cœur immédiatement. Il te sourit et baissa la tête vers l'oiseau. L'oiseau frémit légèrement puis se releva. L'oiseau te regarda, puis se tourna vers l'homme. Le moineau baissa sa tête vers l'homme comme signe de remerciement et de gratitude puis ouvrit ses ailes et s'envola au loin. Tu te sentais léger et tu décidas de rentrer à la maison, entendant ton estomac se réveiller.

Quand tu avais l'âge de grandir, tu vivais dans un simple appartement, dans un grand immeuble où tu entendais la chasse d'eau s'activer en haut et de la musique classique en bas à partir de 20h tous les soirs. Avec le temps, tu es devenu un écrivain solitaire, incompris de ses textes. Un soir tu n'arrivais pas à dormir. Des crampes au ventre te tenaient éveillé... Et la musique classique aussi. Au fil des semaines, les crampes ne s'atténuaient pas, au contraire, elles augmentaient de jour en jour. Un jour, tu étais plié de douleur, tu ne savais plus tenir debout. Mais tu levas la tête et devant toi, l'homme te souriait comme à son habitude. Mais cette fois-là n'était pas pareil. Il t'avait toujours réconforté, tu croyais que rien ne pouvait t'arriver s'il te souriait. Mais tu te trompais lourdement. Et pourtant il souriait encore et encore. Tu ne voyais plus son sourire bienveillant, mais un sourire qui te prenait pour un idiot. Tu ne pouvais plus regarder ce sourire qui te dégoûtait maintenant au plus haut point. Des mots voulaient sortir de ta bouche. Au début, tu ne voulais pas, mais ces mots te brûlaient la langue. "Va-t'en !". Les mots se sont échappés. Tu ne pouvais plus les retenir. Pour la première fois, l'homme ne souriait plus. Il sortit par la porte d'entrée en marchant sereinement. C'était la dernière fois que tu l'avais vu. Une larme roula sur ta joue mais tu l'essuyas d'un simple revers de manche. L'appartement s'était refroidi d'un seul coup. Soudain, tu sentais un changement au fond de toi. Des portes dont tu ignorais l'existence jusqu'à maintenant s'étaient ouvertes. Ces portes s'étaient ouverte avec la disparition de l'homme, tu le savais. Tu éprouvais de la peur. Ces portes allaient t'apporter la Vérité. Un flot de souvenirs te parcouraient. Ce jour-là, l'oiseau ne s'était jamais envolé.

Quand tu avais l'âge de vieillir, les douleurs devenaient insupportables, tu décidas alors d'aller à l'hôpital. Tu savais qu'il y avait quelque chose de grave et tu avais peur d'entendre la Vérité. Mais bizarrement, ton corps avançait malgré toi. Dans la voiture, tu voyais le bâtiment imposant de l'hôpital se rapprocher, petit à petit. Les battements de ton cœur se firent plus fort et résonnaient dans ta tête. Ton corps accéléra. Arrivé, ton corps ne t'appartenait plus. La vérité se rapprochait. On te fit quelques analyses et puis tu partis. "Patientez pour avoir les résultats.", t'avaient-ils dit. Tu savais que la Vérité allait venir à ta rencontre. Les jours qui suivirent étaient longs et monotones. Un soir, tu prenais une douche. Tu te sentais mal et tu étouffais. Il était temps. Tu éclatas en sanglots et tu t'assis dans la baignoire. Tu remontas tes genoux contre ta poitrine. Tu avais du mal à respirer, la tête te tournait. Tu avais l'impression d'être au bord d'un précipice et devant toi, un mur gigantesque avançait dans ta direction. Tu le poussais de toutes tes forces mais tes pieds glissaient. Évidemment, tu n'étais pas de taille. Le gouffre derrière toi t'appelait, criait ton nom. Le mur continuait d'avancer, impassible. Soudain, tu entendis une sonnerie de téléphone dans la cuisine qui te sortit de ta rêverie. Tu relevas la tête et tu compris. C'était la Vérité. Le téléphone continuerait de sonner tant que tu n'aurais pas décroché. La porte de ta salle de bain s'ouvrit d'un coup, comme si la Vérité te demandait de venir. C'est ce que tu fis. Tu pris le téléphone et le posas sur ton oreille et tu sus. Après quelques instants, ton oreille commença à te brûler et tu raccrochas. Tu voyais flou et ton corps s'étala dans le canapé. Tu étais sans voix, complètement abasourdi. Un grave cancer t'habitait . Tu ne voulais pas de ce corps qui allait pourrir de l'intérieur. Tu étais désormais plongé dans les ténèbres. Ces portes, elles ne t'ont apporté que la simple Vérité et pourtant, tu vivais désormais dans un total désespoir. Tu avais toujours vécu dans un monde onirique. Un monde où rien ne pouvait t'atteindre. Tu regrettais ce monde qui te berçait comme ferait une maman pour endormir son enfant. Cet homme. Il n'aurait jamais dû partir. Tu n'aurais pas dû le laisser partir. Mais c'est trop tard. À présent, ta vie consistait à survivre, à ne pas te laisser submerger par les ténèbres.

Quand tu as eu l'âge de mourir, tu étais dans un lit d'hôpital. Le cancer te rongeait les intestins petit à petit, générant une douleur sans nom. Les médicaments n'y changeaient rien. Personne n'était à ton chevet. Tu savais qu'il fallait partir mais tu aurais tellement voulu le revoir une dernière fois. Le soir, tu pleurais en silence. Tu te sentais si seul. Ton cœur était gelé, mais personne n'était là pour le réchauffer. Un matin tu te réveillas sachant que tu étais sur la fin de ton chemin solitaire. Tu n'en pouvais plus d'être torturé par cette vie qui ne voulait s'achever. Ta vision commençait à s'assombrir. Mais juste avant de goûter enfin au sommeil libérateur, le temps d'un instant, il te sembla apercevoir l'homme devant ton lit, en train de t'observer avec son sourire qui t'avait réconforté pendant de longues années. Tu fermas les yeux et souris. Ces portes qui ne t'ont apporté que peine et chagrin se sont refermées mais la Vérité fut enfin comprise. Maintenant, plus rien ne te retenait ici, tu fus enfin libéré de ton tourment.

Un de Ses Murmures.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant