Une valse

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Un petit appartement délabré. Allongé sur le lit, comptant les taches sur le plafond blanc cassé. La lune ayant remplacé le soleil, une tristesse ayant remplacé mon sourire. Mes éternels démons sortant de mes placards. Je repensais en boucle.

Le regard posé sur moi. Quelque chose se creusant dans mes entrailles. Les mains qui tournoyaient. Les corps qui dansaient une magnifique valse. Et puis le sang sur le plancher.

Comment j'avais pu croire en l'amour ? Comment j'avais pu me rendre à ce point vulnérable ? Comment j'avais pu me laisser faire ? Comment avais-tu pu le laisser continuer ?
J'entendais les rires de mes démons autour de moi. Peut être avaient-ils raison de rigoler. Si je pouvais, je rigolerais avec eux. De ce monde absurde. C'est à devenir fou. Ces esclaffements noirs remplissaient ma chambre, pleins de mépris. Parfois, une larme s'échappait. Mais une ombre venait alors au-dessus de moi et, du bout de son doigt crochu et ridé, arrêtait ma larme avant qu'elle n'atteigne l'oreiller. Ils faisaient parties de moi, depuis ce jour.
Seuls les rayons du soleil pouvaient chasser ces monstres.

Et le matin, le costard repassé sur mes épaules. Devant le miroir, je m'entraînais à sourire. Je peignais mes cheveux d'un même côté. Une peau rasée de près. Une haleine de menthe. Et la touche final, trois sprays de parfum dans le cou. Je sortais de cet appartement qui ne m'appartenait désormais plus, laissant mes démons dans le fond de mes placards. Une journée de plus dans ces bureaux sans vie. Une case de plus à cocher sur le calendrier du frigo. Une ride en plus se creusant dans mon visage. Un jour en plus que je vivrai seul.

La fin de journée approchait. Je rentrais du travail, le dos courbé par cette routine incessante, la démarche lente. Marchant dans une rue déserte, illuminée par quelques lampadaires. Et quand j'arrivais dans le rayon de lumière du dernier lampadaire avant la porte d'entrée de mon immeuble, j'entendis un léger son. Je tendis l'oreille et percevais la douce mélodie d'une boite à musique. Cette musique venait de derrière moi, au loin. Je me retournai, mais ne vis personne. Je continuai à avancer malgré une certaine curiosité qui me poussait à rebrousser chemin.
Mais je ne pouvais les abandonner.
Je tournai la clé dans la serrure de mon appartement. Mon sourire se détacha, comme si les fils qui le retenaient lâchèrent. De retour chez moi.

Cependant, dans le couloir d'entrée, la porte refermée, la musique continuait de tourner en boucle. Elle me suivait. Je pouvais toujours me retourner mais évidemment il n'y avait personne. Je m'allongeai sur le lit, le ventre vide, et la musique qui tournait dans mon esprit. J'avais l'impression que la mélodie était plus insistante. Mais elle n'empêchait pas les démons de sortir de leurs cachettes. En effet, ceux-ci étaient déjà en train d'ouvrir les tiroirs. Ce soir, les faibles rayons de la lune éclairaient les ombres de mes démons. Ils n'avaient pas l'air contents. Ils rigolaient fort. Peut être pour masquer la douce mélodie. Ils n'y arrivaient pas, je pouvais sentir leur mécontentement dans leurs rires. La mélodie ripostait.
C'était une discorde dont j'étais le seul à entendre les émois, malgré moi. Je soupirai, fermai les paupières, essayant en vain de me reposer. Mais le tourbillon de souvenirs revenaient.

Je voyais encore le regard désolé de Maman, avant qu'elle ne eut fermer la porte. Je sentais encore le sentiment de vide absolu qui venait de remplir mon cœur. Je pouvais encore essuyer mes larmes qui tombaient sur mes pieds d'enfant. Je me suis retourné et j'ai croisé les yeux de Papa. Ce n'était pas mon Papa. Ce n'était pas celui à qui j'aspirais. Ce monsieur n'était qu'un ogre qui a chassé ma Maman et qui était prêt à me dévorer.

Le regard posé sur moi. Quelque chose se creusant dans mes entrailles. Les mains qui tournoyaient. Les corps qui dansaient une magnifique valse. Et puis le sang sur le plancher.

J'émergeai soudain de mes cauchemars. Les rayons du soleil traversaient le plancher de ma chambre. La mélodie vibrait. J'avais toujours l'impression qu'elle venait de dehors. Pourquoi personne ne l'entendait ? Je me redressai et posai mes pieds nus sur un sol glacé. La routine allait reprendre.

Du temps passait, peut être des jours ou des années, mais la boite à musique était toujours en marche. Et un soir, c'en était trop. Dans ma chambre, les démons rigolaient comme à leur habitude, à gorge déployée. Et moi, je me tortillais de folie sur le matelas, les mains plaquées sur mes oreilles. J'ai décidé d'arrêter cette mascarade, de fermer le clapet de cette foutue boite à musique. Mais qu'en penseraient-ils ? Vont-ils me suivre ? Je ne sais pas. Il fallait que j'éteigne cette mélodie. Je me calmai soudainement dans mes couvertures. Les rires se sont tus, ils attendaient la suite de mes actions. Je sortis calmement hors de mon lit. J'entendis des petits rires sarcastiques qui m'enveloppaient. Je tournai lentement la poignée de la porte et la tension craqua. Des ombres se sont précipitées vers moi, leurs ongles rentrant dans ma chair. J'ouvris malgré la douleur aigue la porte et passai la première jambe. Leurs rires étaient devenus implorants. On aurait dit mes pleurs quand j'étais enfant. Leurs doigts s'accrochaient à mon pyjama. Je me sentais partir en arrière, mes pieds glissaient sur le plancher. Je devais sortir, j'allais devenir fou. Je n'abandonnais pas. Je m'agrippais au dormant de la porte de toutes mes forces. Mes mains tremblaient, je serrais les dents.

Et après plusieurs minutes d'acharnements, les ombres derrière moi reculèrent, je sentais leurs mains quitter mon corps. Elles ne pleuraient plus, elles avaient compris que c'était inutile. J'avais pris ma décision. Je réussis à passer le seuil de la porte mais je m'arrêtai. Je me retournai vers mes démons. Ils étaient dans ma chambre, incapables de me suivre. Je leur souris. Je sentais mes yeux se mouiller mais je ne pouvais pas pleurer. Pas devant eux. Je savais qu'un jour, il me fallait les abandonner à leur sort. Ce soir, je les ai enfin libérés. Ces ombres, qui avaient occupé mes murs depuis mon enfance, étaient désormais libres car je n'avaient plus besoin d'elles.

Dehors, l'air frais de la nuit printanière chatouillait le bout de mon nez. Je me retrouvais à l'endroit exact où j'ai commencé à l'entendre. Cette douce mélodie venait de très loin. Je commençais à courir, la mélodie étant mon phare illuminant le fond de mes ténèbres. Je parcourais les rues, les villes, le monde. Mon corps ne me suivait plus mais je continuais d'avancer.
Du temps passait, peut être des jours ou des années, sans que j'arrive à retrouver la source de la lumière. Et puis un jour, j'approchais d'une petite maison entourée de prairies. Je sentais la mélodie toute proche. La maisonnée était en brique, avec une légère fumée s'échappant de la cheminée. La musique venait de la maison. Je traversais la prairie au pas de course. Après tant de temps, j'ai trouvé le phare éclairant mes ténèbres. Devant la porte en bois sombre, le cœur battant dans ma poitrine. On approchait de la fin. Je tournai lentement la poignée de la porte. Je vis une femme, vêtue d'une simple robe blanche, qui dansait sur la musique.Ses pieds étaient rouges. Malgré ça, elle avait sur son visage un doux sourire, habillé d'une délicate mélancolie. Elle regardait ailleurs. Peut être voyait-elle des ombres sur les murs. Derrière elle, je voyais une petite boite à musique ouverte et ronde en bois sombre qui se tenait sur une petite table accordée à cet objet. Mais j'étais obsédé par le regard si familier de cette femme, par ses mains délicates qui effleuraient l'espace nous séparant. Je ressentais soudain une émotion que j'avais égarée il y a longtemps parmi le reste de mes idées noirs. L'amour. Tout semblait si simple, si évident. Je sentais mes douloureux souvenirs d'enfance qui s'évanouissaient dans mon esprit. Je voulais l'accompagner dans sa danse.

Le regard posé sur moi. Quelque chose se creusant dans mes entrailles. Les mains qui tournoyaient. Les corps qui dansaient une magnifique valse. Et puis le sang sur le plancher.

On a dansé, pendant un temps qui me semblait éternel. Nos pieds s'agitaient dans une flaque pourpre. Je ne faisais plus la différence entre son corps et le mien. Je ne faisais plus la différence entre la douleur et la passion. Je regardais son visage bercé par la musique qui nous accompagnait. Elle me racontait ses histoires, son passé dans la danse. Je la suivais dans ses mouvements, m'accrochant à son rythme. J'ai remarqué que la boite à musique s'est doucement refermée et la musique s'estompa. Notre rythme s'arrêta. Nos corps se séparèrent et mes mains quittèrent son corps. Elle souriait simplement maintenant. J'ai directement compris. Elle devait partir. Quelques instants après, j'étais seul dans une mare de sang. Je me sentais léger et enfin heureux.















J'ai revu Maman.

Un de Ses Murmures.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant