1 - Le dernier souffle du loup-garou

643 78 9
                                    

- 1877 -

     Depuis la mort de Lewis, il y avait eut beaucoup de non-dit entre les deux amants. Ralph était devenu bien silencieux, et Alec, qui l'avait toujours été, semblait s'être emmuré dans une bulle que seul le vampire arrivait à percer de temps en temps.

     Les trois premières années avaient été dures. Les deux suivantes, un peu moins. Et celles d'après, ils avaient fait leur deuil.

     Durant la vie de Lewis, ils avaient tous les trois vécu à New London, cette fantastique cité aérienne, remplie d'humains, d'alchimistes, et depuis leur périple, d'une poignée de loup-garous et de vampires, triés sur le volet.

     Ensuite, les restrictions s'étaient faites moins strictes, et les créatures surnaturelles pouvaient aller et venir à leur guise dans la ville. Au final, toutes les villes aériennes avaient fini par lentement retourner sur la terre ferme au bout de quelques décennies. La menace des vampires et des loup-garous n'avaient plus lieu d'être, tout comme la nécessité des villes aériennes.

     Il y avait eu un temps d'adaptation, pour cette étape-là aussi. Une poignée d'années. Mais là encore, Ralph et Alec avaient d'autre préoccupation.

     Il y avait eu quelques attaques de vampires, quelques attaques de loup-garou, mais dans la globalité, il n'était plus question de chasse aux créatures, c'était plus de l'ordre de les trainer en justice et de les juger.

     Sans l'avoir dit à quiconque, ils savaient que le Suprême était encore en vie. Ils n'auraient jamais su dire avec exactitude pourquoi, mais il leur était impossible de lui mettre la main dessus.

     Et puis, un jour, Alec mourut.

     Cela avait été si foudroyant que même Ralph n'avait pu le voir venir. Une crise cardiaque, lorsqu'il dormait d'un sommeil profond avait été fatale pour le loup-garou. Ralph, ne dormant pas, et chassant la nuit, n'avait sentit qu'un pincement douloureux au cœur. Lorsqu'il était arrivé, hors d'haleine, dans la chambre, il était trop tard.

     Ralph s'en était tellement voulu ce soir-là. Son deuxième amant et éternel amour venait de mourir seul, et son seul réconfort avait été de se dire qu'il venait de rejoindre les bras de Lewis.

     Cette pensée l'accompagna alors même que le corps d'Alec, recouvert d'un voile blanc, entrait dans le four crématoire. Le vampire se pinça les lèvres et retint de justesse les larmes couler lorsque le four se mit en marche. Il se contenta de fermer les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il ne restait plus rien.

     Seulement un tas de cendre.

     Ralph souffla et ouvrit la bouche sans pouvoir dire un seul mot. L'employé qui le regardait de loin se permit de bouger pour récupérer les cendres et les mettre dans l'urne funéraire.

     D'un regard absent, il s'empara de l'urne tendue par les employés de la morgue et il se dirigea vers la sortie. Durant tout le reste de leur courte vie d'humains, les employés se demandèrent pourquoi cet homme au teint blafard avait gardé ses lunettes de soleil à l'intérieur de la morgue, un lieu bien sombre de manière générale.

     Ralph sortit du bâtiment, plongé dans ses pensées. Il se demandait que faire de cette urne. Il ne pourrait définitivement pas la garder avec lui, posée sur une étagère entre les pots de confitures de Lewis, intouchés depuis sa mort, et les pots de thé de Mamie Tisane, décédée depuis longtemps.

     Avec Alec, ils avaient dispersé les cendres de l'alchimistes dans le jardin qu'ils avaient aménagé chez eux. Mais en y repensant, le vampire doutait fortement qu'Alec aurait aimé reposé dans un lit d'aconit.

« Ralph.

     Le vampire releva la tête. Il tomba face à Darwin et à quelques membres de sa meute. Ils étaient tous vêtus de noir et abordaient un air grave sur le visage.

— Que me vaut cette visite ? demanda le vampire en crispant ses mains sur l'urne.

— Nous aurions espéré pouvoir assister à la cérémonie, mais sans carton d'invitation ni autres informations, nous avons fait de notre mieux.

— Si j'avais voulu votre présence, je vous en aurais informé.

— Pourquoi es-tu si haineux ? Alec était des nôtres, de notre côté. Et nous étions du votre.

— Comment oses-tu venir après tant d'année, seulement pour sa mort ?

— Les loup-garous ont tendance à vivre plus longtemps auprès des leurs. C'est inhabituel, comme façon de procéder.

     Ralph montra ses crocs.

— Es-tu en train de me dire que c'est de ma faute si Alec est mort ?

— Je dis juste qu'un certain nombre de choses auraient pu être évité s'il n'était pas resté à vos côtés aussi longtemps. Alec était important à nos yeux, et la meute ne s'est jamais sentie complète sans sa présence à nos côtés.

— Aussi stupide qu'est cette pensée, il est vraiment dangereux d'énerver un vampire qui vient de perdre un être cher.

     Il s'avança à grand pas, bouscula le loup-garou d'un coup d'épaule et se retourna quelques pas plus tard. L'ensemble de la meute montrait ses crocs au vampire, nullement impressionné.

— Qui plus est un vampire qui peut marcher en plein jour.

     Darwin fit un geste de la main à sa meute.

— Ce n'est pas un jour pour se disputer. Nous pleurons la même personne, déclara-t-il.

— Mais visiblement pas pour les mêmes raisons. »

     Le visage du loup-garou se ferma, et après quelques secondes de silence, le vampire tourna ses talons et sorti du cimetière où le rassemblement de créatures surnaturelles se trouvaient.

———————

     Ce n'est que lorsqu'il rentra chez lui qu'il s'effondra. À peine eut-il passé la porte de la maison qu'il tomba par terre. Ou plutôt, il se laissa tomber par terre. Toute ses forces l'abandonnèrent d'un coup, et l'on sait de source sûre que les vampires possèdent une grande force, et il s'écroula par terre.

     Il ne prit même pas le temps de s'assoir sur une chaise ou un fauteuil, il resta sur le pas de la porte, à pleurer, jusqu'à ce que la nuit tombe.

     Lorsque la lune fut haute dans le ciel, il se sentit étrangement épuisé. Il tenait toujours l'urne dans ses mains, sans qu'il ne sache vraiment quoi en faire. Sans vraiment réfléchir, il descendit dans la cave de la maison, et privilégia une cachette pour l'urne d'Alec qui durerait dans le temps.

     Ralph remonta, condamna la porte de la cave et la dissimula par tout ce qu'il pouvait trouver. Enfin, il remonta, sortit de la maison qu'il ne referma même pas à clé, puis il partit.

     Il marcha longuement, longtemps, et sans réfléchir. Le vampire arriva devant les portes du cimetière. À cette heure-ci, il n'y avait pas âme qui vive. Il s'engouffra dans la crypte la plus éloignée, entra dedans et descendit les escaliers qui menaient au caveau funéraire.

     Ralph poussa sans aucun effort le tombeau surplombé d'une statue, puis il s'allongea dans la tombe. Avec la force qu'il lui restait, il remit le haut de la tombe en place, et lorsqu'il fut dans le noir complet, seulement à ce moment-là, il ferma les yeux.

     Et pour la première fois depuis des décennies, il se sentit s'endormir.

Le Sacre du Vampire, T2 [MxM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant