Vita bellissima !

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Le couvre-feu venait de sonner. Les enfants étaient couchés, les petits nez mouchés et les mains lavées. Les parents leur avaient raconté leur histoire du soir, un épisode des contes de la crypte intitulé : à en perdre la tête. Les mômes tremblaient encore de terreur en se remémorant les images de la décapitation du facteur. Une question existentielle les taraudait en effet : qui allait acheminer leur lettre au Père Noël ? Pendant ce temps, les adultes batifolaient dans la plus totale insouciance.

Au treize de la rue des bons Samaritains, les nécrophages du dernier étage s'engouffraient dans les escaliers pour se ruer au rez-de-chaussée chez leur boucher préféré Delicatessen.

Comme chaque semaine, ils célébraient la fête des voisins et l'heureux élu ce jour était le locataire de l'appartement six.

Sur l'étal bien achalandé, on pouvait trouver son bonheur : sa thyroïde, son thymus, sa rate, ses reins et ses poumons bien roses de non-fumeur. Le boucher s'affairait, découpait et hachait menu pour ses clients on ne peut plus exigeants.

La grosse dame de l'immeuble se plaignit que le foie de la dernière fois était bien trop gras.

<<Pas ma faute, s'excusa le maître des lieux, pouvais pas savoir que le locataire du huit souffrait d'une cirrhose. Son bilan sanguin que j'avais subtilisé dans sa boîte aux lettres ne l'indiquait pas.

-Oui, mais quand même, insista-t-elle, pensez un peu à mon régime>>.

Dans cette résidence privée un peu particulière, on appliquait ainsi à la lettre la théorie de Lavoisier : <<rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme>>.

Dans la nuit noire sans lune, les rues sombres sans l'ombre d'une ombre, étaient illuminées par endroits comme par des lucioles aux ailes étiolées. Les retardataires estropiés non informés du passage prématuré au passage à l'heure d'hiver, sous l'effet des pluies de Luminol, avaient leurs moignons ensanglantés qui brillaient.

Le temps ne tournait plus tellement rond dans ce monde obtus aux angles aigus acérés comme des lames de wakizashi. Le seppuku commençait à devenir sport national. Les morgues étaient débordées et le chiffre d'affaire des pompes funèbres explosait.

La grande loterie de la vie était à l'œuvre. Personnellement, je déteste les jeux de hasard et surtout les jeux de grattage. Ça aggrave mon eczéma. Pour parodier ce cher Yves Duteil qui chantait : <<j'ai la guitare qui me démange, alors je gratte un petit peu. Ça me soulage et ça s'arrange>>, moi, je me gratte beaucoup, et métaphore très délicate que je vous offre : j'ai les dents du fond qui baignent quand je vois un mille-feuille !

Maître corbeau comme d'habitude sur son arbre perché, mais quel fainéant celui-ci, complètement débecté, en a lâché son camembert et le goupil continue à bien se marrer.

Faudrait quand même songer à cesser de nous rebattre les oreilles avec cette fable moraliste, eu égard à ma cholestérolémie qui vient de grimper en flèche, contrairement à la cote de copularité de certains <<grands>> de cette société qui coule à vitesse grand V comme le Titanic.

Si mon histoire vous a fichu un coup de blues pas possible , consolez-vous avec le chocolat noir. Pendant que vous mâchez, vous ne pensez pas à tout ce qui nous tombe sur la tronche.

Un peu de fantaisie Où les histoires vivent. Découvrez maintenant