☼ Calyx ☼

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☼ Calyx ☼

Je n'avais aucune envie de partager quoique ce soit avec ce peuple d'empotés venu du ciel. Pas même mon nom. Clarke se tenait face à moi, l'œil bienveillant. D'un geste peu assuré elle saisit mon poignet droit et défit le nœud complexe qui retenait ma main, me laissant ainsi maîtresse de mon destin. Se faisant, elle cherchait dans mon regard une preuve qu'elle ne se trompait pas, mais mon attention se tourna au dehors. Les bois étaient à une centaine de mètres et le seul obstacle entre la liberté et moi était un petit groupe de gamins curieux. Je pris mes jambes à mon coup en évitant tous ceux se trouvant sur mon passage et engloutis la distance à toute vitesse. L'effet de surprise et une sûrement bien meilleure condition physique que des gamins ayant grandit dans l'espace, si grande soit leur station, me permirent de me retrouver rapidement seule en forêt. Une brève analyse de la situation m'indiqua que j'avais semé le trouble au sein du camp, et que Bellamy qui beuglait des ordres était déjà à ma poursuite. Je grimpais dans un arbre assez haut et touffu pour me permettre d'échapper à la faible vigilance du petit groupe qui me cherchait sans grand espoir. « Sérieux, à quoi ça sert de lui courir après alors qu'on sait même pas dans quelle direction elle est partie ? », « En plus t'avais dit qu'elle pouvait partir, bah elle est partie ! », « Non mais on a aucune chance elle doit connaître les bois comme sa poche... » Bellamy se contenta de répondre que s'ils ne me retrouvaient pas il aurait la tête de l'un d'entre eux, et cela sembla motiver les troupes qui se dispersèrent immédiatement. Ma respiration se coupa lorsque l'un d'entre eux leva la tête dans ma direction, haussa un sourcil surpris et posa un doigt sur sa bouche. Je reconnu avec effroi l'homme qui m'avait tiré dessus. Un sourire espiègle traversa son visage alors qu'il suivi le reste du groupe. Qu'est-ce qu'il mijotait ? Par sécurité, je changeais d'arbre et me trouvais un coin confortable. Ils allaient sûrement revenir avant la tombée de la nuit, il valait mieux que j'attende qu'ils rentrent bien sagement pour ne pas tomber sur eux en me déplaçant, ou pire les mener à ma grotte. Une pensée déroutante me traversa l'esprit. Reniée par les miens, recherchée par ceux qui avaient provoqué mon exil et désormais... recherchée par une bande d'inconnus désorganisés, perdus dans ce monde que j'avais su dompter. Pourquoi ne pas m'allier à eux ? Mes chances de survie seule étaient satisfaisantes, mais je n'étais pas faite pour vivre tel un ermite. Qu'étais-je prête à sacrifier pour un toit ? Un lit, de la compagnie ? Le but de ma vie avait toujours été de protéger. Peut-être avais-je trouvé d'autres âmes à défendre.

Comme je m'y attendais, il ne fallut que quelques heures au petit groupe de pisteurs pour rentrer – bredouille. J'étais trop haute pour discerner la mine de Bellamy, mais je me plaisais à l'imaginer renfrogné. S'il savait qu'il ne risquait absolument rien, qu'aucun chef de clan qu'il ne souhaitait ou craignait rencontrer ne se trouvait dans les parages, il n'aurait pas épuisé ses hommes. Je ne voyais pas leur visage, en revanche je devinais au vu de l'odeur sucrée qui montait qu'ils en avaient profité pour faire le plein de fruits. Ils n'étaient peut-être pas si gauches que ça. Quand la voie fut libre, je descendis de mon perchoir et m'approchais discrètement du campement. Trois jeunes filles tentaient de sauver un maigre feu de camp tandis qu'un adolescent au crâne rasé récolté des félicitations et autres tapes amicales sur les épaules pour une raison inconnue. Mais son moment de gloire vira brutalement au cauchemar. Une jeune fille était tombée au sol, tordue de douleur. Elle se tenait le ventre comme si elle avait peur de voir ses intestins se répandre sur le sol poussiéreux. Une écume jaunâtre s'échappait de sa bouche et je devinais instantanément le mal qui la rongeait. Je bondis de derrière mon arbre et m'élançais au milieu de l'attroupement, sous le regard stupéfait de dizaines de jeunes. Je reconnu Clarke, qui s'était précipitée au secours de la jeune fille qui suffoquait à présent. « Apportez-moi de l'eau, vite ! » J'enfonçais mes doigts dans sa bouche et tentais d'aller le plus loin possible, touchant sa glotte. Il fallait absolument qu'elle vomisse. Un jeune homme trapu me tendit une gourde et je lui fis signe de m'en trouver d'autre. La jeune fille dans mes bras venait de régurgiter et je la forçais à boire, gorgée après gorgée. « Il faut qu'on nettoie au mieux ton estomac, lui intimais-je, bois encore. » Elle but une gourde puis une autre, encore une autre et quand elle eut rendu tout ce qu'elle pouvait, pâle comme un revenant, je la laissais tranquille en lui chuchotant qu'elle était hors de danger. Je me relevais alors et la rage monta en moi. Ils étaient tous là, à me regarder comme des poissons que l'on maintient hors de l'eau, y compris celui au crâne rasé qui avait cueillis des baies mortelles et je tendis mon index vers Bellamy. Celui-ci était bouche-bée, tellement qu'on aurait cru que sa mâchoire allait dégringoler. Il devait être plus que surpris de me trouver ici après m'avoir traquée comme un animal, mais je me foutais de son jugement. Et cela ajoutait encore à ma colère. Mes mots sortirent, foudroyant.

« - Toi qui te prétends leur chef, il est de ton devoir de les protéger ! Même dans l'espace vous deviez savoir que l'on ne mange pas ce qu'on ne connait pas ! Du moins pas sans s'assurer d'abord que l'on n'en mourra pas.

- Et comment suis-je sensé faire ? Je ne peux pas être sur tous les fronts, je n'étais pas ici quand ils ont distribué les fruits. Tu me demandes de goûter tout ce qu'ils ramassent ? C'est en se trompant que l'on apprend de toute manière, rétorqua Bellamy en croisant les bras.

- Vous devez répertorier ce que vous ramasser, observer tout d'abord les effets sur votre peau puis sur vos lèvres, et enfin dans votre bouche avant même de songer à les manger ! Puis il ne faut goûter que d'infimes quantités, observer les réactions et surtout partager vos connaissances. Tout le monde sait ça. Qui vous a laissé vous jeter sur nos terres sans vous apprendre qu'on ne mange pas tout ce qui sent bon ? Vos ancêtres aussi vivaient ici, ceux qui ont fui avant le Praimfaya, ne vous ont-ils légué aucune connaissance ? demandais-je en jetant un regard circulaire à la foule, pendant qu'un brun levait timidement la main. Je lui fis signe d'avancer.

- Moi je suivais une formation d'herboriste. Je ne suis pas très doué, mais je peux aider, surveiller et tenir des registres, dit-il timidement.

- Hé bien Monty, t'as intérêt à apprendre vite, surenchérit Bellamy en quittant le lieu de l'incident. On ne peut pas se permettre d'autres erreurs. »

Cette colonie était une catastrophe et son chef impuissant à les protéger. Ils ne survivraient pas aux dangers de la forêt. Et j'avais l'intime conviction que ceux qui arriveraient à s'adapter ne passeraient pas l'hiver. J'étais face à un cas de conscience. J'avais un plan pour survivre à la saison cruelle, mais il n'incluait que moi. Ce que j'avais appris sur mon père allait me préserver du froid mordant et pourrait peut-être permettre à certains d'entre eux d'être épargnés, mais ça ne pourrait pas les sauver tous. En tout cas je ne pouvais pas les laisser gambader comme des enfants ignorants dans cette nature qui allait les dévorer. Peut-être devrais-je les abandonner avant l'hiver, mais je pouvais au moins leur permettre de devenir autonomes d'ici là. « Clarke, retrouve Bellamy, j'ai à vous parler ». 

The 100 : Mauvaise tournureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant