La mer dans sa course se fracasse contre le mur de pierres.
Eva observe les scintillements laiteux laissés par la vague qui se retire. Elle, elle est calme. En son dedans, c'était comme si la mer se retirait aussi. Ne laissant que de l'écume.
Elle est si seule.
« Tu n'es qu'une merde. J'aurais préféré me casser une jambe plutôt que de te rencontrer dans cette rue ! »
Les mots d'Alejandro hantent son esprit. Elle les ressasse, les tourne et les tord.
L'écume qu'ils ont laissé est acide.
Il a raison. Qui est-elle, au fond ? Un point parmi le ciel, un chiffre parmi tant d'autres. Une âme dans un océan.
Ça n'en vaut pas la peine.
Lentement, elle s'approche du mur de pierres. Guettant la prochaine vague, souhaitant l'embrasser. Elle n'a même pas peur. Juste un sentiment d'absence, comme un grand vide en dedans. Elle passe par-dessus le mur de la jetée, balançant ses jambes de l'autre-côté, mais c'est comme si elle se voyait de dos. Ou peut-être d'au-dessus.
Est-elle un oiseau ?
Le meilleur moyen de savoir, c'est de sauter.
Eva reste assise, observe la mer. Au loin, un grand bateau pèche des centaines de poissons malades. La destruction est partout.
Elle ne sent rien.
Plus rien.
Elle est ailleurs.
Ses doigts qui tiennent sa dernière cigarette tremblent. De fatigue. D'usure. Une nouvelle vague arrive.
Eva ferme les yeux. L'eau froide la gifle de plein fouet, comme une pluie de couteaux martelant son visage, comme un mur de sel froid qui s'abat sur elle. Elle a seulement protégé sa cigarette. La mer se retire, elle glisse avec elle.
Est-elle encore sur son muret ?
Apparemment.
Elle hausse les épaules. Bah, la prochaine fois sera la bonne.
Ce n'est pas comme si elle devait si prendre à deux fois pour tout ce qu'elle faisait.
Elle inspire une bouffée de tabac.
Le ciel, au-dessus d'elle, est lourd de pluie. Elle sourit. Ironie, toujours, ironie.
Elle pose sa main bleue sur le côté, tombe sur une pierre qui se détache, l'attrape dans sa paume.
Le caillou, noir, est usé et poli par la mer.
Elle le sert contre son cœur. Usé d'être usé.
Jette sa cigarette.
La mer va revenir. Elle la voit, là-bas, près du bateau.
Elle l'attend.
Dans sa poche, son téléphone vibre et elle le sort par habitude. La mer va revenir.
« Descend.
Elle est si trempée qu'elle ne sent pas ses larmes couler sur ses joues.
— Quoi ?
Silvio, à quelques mètres d'elle, fixe le dos d'Eva enseveli sous sa grosse veste. Il lutte pour parler distinctement malgré ses dents qui claquent et son cœur qui appelle et hurle au secours. Il s'approche tout doucement.
— Descend de ce mur Eva.
— Mais pourquoi ? Je n'ai pas le droit d'être ici ?
Son moineau est déjà dans cet ailleurs qu'elle seule possède au fond d'elle. Il parle à un fantôme qui ne comprend plus rien.
— Non, c'est interdit de monter sur ce mur.
— Oh... Je suis désolée. J'attendais la mer.
Silvio n'est plus qu'à quelques pas d'elle. Elle ne le regarde pas, fixe un bateau au loin, petit point sur cette ligne qui sépare le ciel et l'horizon.
— Ce n'est pas grave, Eva. Descend maintenant. Doucement. »
Je mourrai si tu tombes.
Elle raccroche et s'arrache à la mer. Puis elle descend lentement du mur, se laisse glisser le long des pierres mouillées. Son regard est complètement éberlué lorsque Silvio se jette sur elle et l'écrase au creux de ses bras. Ah, mais elle tremble ?
Derrière eux, une vague plus forte que toutes celles précédentes s'écrase contre le mur et au-delà, emportant le caillou d'Eva, les noyant presque de sel et d'écume. Silvio ne la lâche pas. Il a l'impression de tenir contre lui un tout petit oiseau mouillé. Eva se perd dans ses bras, recroquevillée, le bec enfoncé contre la peau de sa clavicule.
Là, elle éclate.
Comme ça.
Bam.
Les vagues qui s'abattent contre le mur ne couvrent pas la déchirure de ses pleurs.
Eva s'éparpille et Silvio rattrape chacun des morceaux, tient les pièces entre elles, la sert fort pour qu'elle se recolle.
C'est plus fort que lui.
Il ne devrait pas, il ne devrait pas. Il va encore pleurer et perdre du poids.
Mais il ne peut juste pas partir, même si elle le chasse.
« T'es revenu ?
Eva parle en sanglotant mais il entend sa voix dans son torse, qui résonne entre ses côtes.
— Je ne suis jamais parti.
— Pardon. Pour tout ce que je t'ai fait. Je suis tellement désolée.
Il la berce, doucement, lentement. Comme un enfant malade, comme un chat à la patte cassée, comme un oiseau sans plume. Il ne voit plus rien dans ses cheveux trempées qui sentent la mer et le sel. Il n'a pas besoin de voir. Elle est là.
— Chut... chut. Ça va aller. Tu vas traverser tout ça. Tu es forte, bien plus forte que tu ne le penses. Tu es une survivante Eva.
Elle pleure de plus belle et lui lutte pour garder à l'intérieur son cœur qui lui remonte à la gorge. Si seulement. Si seulement.
— Si seulement tu savais à quel point je t'aime. »
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Les Moineaux [TERMINÉ]
Romance« Je dédis cette histoire à tous ceux qui, une fois dans le métro Se sont demandés ce qui les retenaient sur les quais. » Mary F.