Les Moineaux [TERMINÉ]

Deux semaines auparavant

« Quoi ?! il crie, ses espoirs à l'agonie sanglante éclaboussant les tuiles du toit.
— Je lui donne une dernière chance, répète Eva, les bras croisés sur sa poitrine. »

Silvio hurle. Elle pleure.
Le temps, autour d'eux, s'émiette.

« Mais pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu te fais du mal comme ça ?— Je ne te demande pas de comprendre.— Alors qu'est-ce que tu me demande ? »

Sa voix part dans l'aiguë. Il se fissure.

« Je ne sais pas, déverse-t-elle de larmes. Je viens ici sans raison. Mais je l'aime, je le sais. Il faut que je l'aide. Il a besoin de moi.— Pourquoi tu me dis ça ? Je n'ai pas besoin d'être convaincu, moi. C'est toi, le pigeon. Arrête Eva, arrête.— On a beaucoup discuté tous les deux, continue-t-elle en secouant sa tête de gauche à droite, lentement. Il m'a promit de changer. Je lui suis fidèle. Il mérite d'être heureux.— MAIS CONNERIES ! explose-t-il sur ce toit trop étroit, sous ce ciel trop moche, et face à cette fille trop bête. »

Il lui prend la main, la secoue doucement, la supplie du regard de recouvrer la raison, de sortir de cette magie noire qui lui a tout pris. Qu'on lui rende son moineau, et non ce fantôme qui ne ressemble à rien. Qu'on lui rende Eva.

« Ce sont des conneries, il reprend. Une connerie universelle qui circule de tout temps et qu'il faut arrêter de propager une bonne fois pour toute. Celui qui te brise ne peut pas être celui qui te répare. C'est ce genre de mensonges qui fait que des anges tombent du ciel.— Je ne suis ni un ange, ni une machine qu'on peut réparer, rétorque-t-elle en retirant sa main, balayant ses prières d'un revers dédaigneux. Les murs, quand ils sont fissurés, on peut les réparer. Mais moi, je ne crois pas que me foutre la gueule dans une bétonnière suffira.— Mais pourquoi tu te contentes d'accepter les choses ?!— Je n'accepte pas ! crie-t-elle en retour. Mais j'essaye de vivre. C'est comme un couteau planté dans la gorge, qui m'empêche de respirer, mais qui me tuera si je l'enlève.

— Eva, stop, stop je t'en supplie. Si tu t'engages dans cette voie, c'est sans retour, je ne pourrais plus rien pour toi. Personne ne le pourra. Tu vas mourir, Eva. Tu imploseras. Contre un mur, contre le carrelage ou toute seule dans ta chambre, mais tu imploseras. Comme une étoile. Un million de paillettes de toi qui ne serviront plus à rien.
— Je suis prête à mourir pour sauver Alejandro de lui-même. C'est lui qui m'a trouvée. Qui m'a élevée. Qui m'a recueillie lorsque j'étais à la rue. Et s'il faut en venir là... alors soit. Mais je ne l'abandonnerai pas. Je lui ai promis. »

Silvio reste interdit, témoin de son autodestruction, le désespoir à l'âme. Face à lui, Eva se suicide avec insolence.

« Eva, l'appelle-t-il une dernière fois. Je ne le supporterai pas, Eva. Ne retourne pas avec lui. N'y va pas.— J'ai pris ma décision Silvio. »

Elle pleure. Il pleut.

« Ce sont nos adieux ? »

Un sourire éclaire ses larmes. Silvio détourne le regard, fixe le vide sous ce toit et ce jour qui décidément ne veut pas se coucher. Pourquoi est-il encore là, comme un con ? Mais qu'on l'achève et que les moineaux l'emmènent !

« Je ne sais pas ce que Dieu à prévu pour moi, répond-elle dans un souffle tout près de lui. Mais toi, tu es un ange. C'est certain. »

Et les coups de couteaux dans sa poitrine. Encore. Il ne veut plus la voir. Plus jamais.

« Visiblement pas, la contredit-il en s'éloignant. »

Ses yeux océans s'accrochent à lui et il ne souhaiterait qu'une chose, plonger dedans les chevilles lestées de pierres. Mais elle a donné la sentence, plus rien n'est possible. Le temps s'est arrêté. Il repousse sa main tendue vers lui sans la voir.

« Je te souhaite d'être heureuse. »

Et sur ces mots, il la dépasse, frôle son épaule si frêle secouée de sanglots. Ses joues à lui sont trempées d'écume. Dans un dernier sursaut, il s'ouvre la poitrine, lui jette son cœur brisé à ses pieds. A quoi lui servirait ce morceau de viande malade, de toute façon ?

Il referme la trappe du toit sur un moineau brisé fixant le ciel.