Sept mois auparavant (2)

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Trois petits coups de bec frappent contre le carreau. Silvio lève le nez de son roman avec la mélancolie d'arrêter un voyage. La nuit, dehors, embrasse les lumières de la ville. Sa chambre est sombre, seulement éclairée par la lueur vacillante de la lampe de chevet. Eva est accroupie derrière sa fenêtre.

Silvio se précipite pour ouvrir au moineau.

« Qu'est-ce qu... »

Il ne termine pas sa phrase, sa voix est morte dans le regard de l'oiseau. Sur la constellation de sa joue, une super-nova est apparue, trempant ses tâches de rousseur de violet, de jaune, de rouge, de noir. Eva ne le quitte pas des yeux. L'océan est agité. Il y a eu une tempête, ce soir.

« Ne pose pas de question. »

Silvio obéit. Il tend le bras pour que le moineau vienne s'y poser, niche sa petite tête au creux de son cou. Très lentement, il embrasse l'oiseau, blottit son corps si maigre contre le sien. Eva frissonne, secoue ses épaules pointues. De sous sa trop grande veste, tombent quelques plumes.

« Je veux juste me reposer. »

Dans un dernier sursaut, elle tombe. Silvio a juste le réflexe de lancer ses deux bras sous ses jambes. Elle ne pèse rien. Il la dépose sur son lit, l'entoure d'une couverture.

« Où est Alejandro ?
— Il dort. »

Il n'a pas besoin d'en savoir plus.
Le moineau frissonne, resserre les pans de la couverture autour de ses ailes arrachées.

Le garçon s'agenouille au sol, juste devant ses petits pieds lourdement chaussés. Une main posée sur son genou bleu, il admire son visage avec toute la dévotion d'un agonisant attendant Dieu. Eva ne parle pas. Les yeux dans le vague, elle n'est plus là, elle est dans cet ailleurs, dans ce ciel qui n'apparaît derrière aucune fenêtre de cette ville. Le silence créé sa musique.

« Tu sais, parfois le plus dur lorsqu'on doit partir, c'est se rendre compte à quel point on aurait du le faire plus tôt. »

Il a parlé sans réfléchir à ses mots, trop absorbé par cette étoile multicolore sur la joue d'Eva. Il n'a droit qu'à un demi regard, brouillé d'écume.

L'autre œil est fermé.

« Je ne peux pas partir, soupire-t-elle. Je n'en ai pas le droit. C'est mon devoir. »

Silvio ne comprend pas.

« Si je m'en vais, explique le moineau, plus personne ne pourra sauver Ale de lui-même. »

Jamais de sa vie il n'a entendu un chant aussi faux. Il serre sa main sur son genou, si petit et cagneux qu'il disparaît dans sa paume. Il a envie de la secouer.

« Tu n'as pas ce rôle. »

Eva lui renvoie un regard polaire. Ah, la tempête. Elle n'était pas loin, finalement. Elle est juste là. Dans ses yeux.

« Bien sur que si. Je l'aime. »

Silvio s'emporte. Jamais il n'a vu d'oiseau si déterminé à embrasser les murs.

« Non, ce n'est pas de l'amour. C'est pas ça, l'amour ! Ça, ce que tu as, là... c'est moche, c'est répugnant, ça te fait pleurer et ça ne t'apporte rien. Tu ne mérites pas ça. Lui non plus, d'ailleurs.
— Mais pour qui tu te prend à me parler comme ça ? Je ne t'ai rien demandé. Laisse-moi.
— C'est toi qui est venue. »

Il regrette immédiatement ses mots. Son regard outré lui lacère le cœur car il sait, à cet instant, à son regard, qu'il vient de la perdre. Quel abruti il fait.

« Je n'aurais pas du. »

Sur ces mots comme des coups de pelles creusant la tombe de son désespéré amour, Eva s'envole loin de lui.

Les Moineaux [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant