Mon papa a toujours été gros. Des troubles du comportement alimentaire apparemment, du style épisodes de compulsion boulimique. Enfin, j'en sais rien exactement je suis pas médecin - enfin, pas encore - mais c'était l'impression que j'en avais.
Pour ma petite sœur et moi, il cuisinait toujours des repas équilibrés. Quand on était petites, il faisait des assiettes en forme de visage avec un quart de melon en guise de sourire, des rondelles de concombre pour les yeux, des carottes râpées pour les cheveux, tout ça pour nous faire manger 5 fruits et légumes par jour. Mais son alimentation à lui, c'était pas ça. J'ai jamais trop su ce que c'était en fait. Il prenait soin de nous, mais pas de lui.
Il nous réveillait tous les matins d'école, nous préparait le petit déjeuner, et ce même à mes 20 ans. Si il se levait avant moi, il ne pouvait s'empêcher de sortir mon bol et mes céréales et de préparer une orange pressée pour tout le monde. Parce que "c'est important pour les vitamines" il disait.
Il était professeur des écoles à la base, mais avait une passion à côté : les mathématiques. Il était capable de faire aimer les maths à n'importe qui. Il donnait même des cours particuliers.
Il était très fort. Dans le salon, des livres pour l'agrégation trainaient souvent, des gros livres compliqués auquel je ne comprenais rien. Ses élèves, c'était des anciens élèves du primaire devenus grands. Des lycéens en ES souvent, dont les parents désespéraient de les faire atteindre la moyenne. Mon père, lui, y arrivait. Il savait leur parler, aux gens qui n'aimaient pas les maths, à ces élèves en difficulté scolaire. Chaque année, ses jeunes des cours du soir obtenaient leur bac grâce à lui.
Et moi dans tout ça ?
Moi, j'étais l'élève modèle. Toujours dans les premières de ma classe, sans grande difficulté. Je continuais mon lycée en filière S puis en spé Maths en terminale.
Je n'avais pas de vrais problèmes à cette époque. Alors, si, j'avais "des problèmes". J'avais des angoisses, qui se manifestaient par des attaques de paniques régulières. Mais autrement, tout allait bien. Je vivais chez mes parents, propriétaires de leur maison, dans un joli quartier du Sud-Ouest de la France, avec ma petite soeur, et notre chat. Je faisais du violoncelle et de la danse et prévoyait d'entreprendre des études de médecine à la suite du bac. Au lycée, j'étais dans un grand lycée de Bordeaux, avec mon petit ami chez qui j'allais régulièrement.
A la maison, ça a toujours été mon père qui décidait. Il avait ce côté papa poule qui parfois agaçait lorsque je voulais sortir sans forcément dire où j'allais. On avait peur qu'il nous gronde aussi. C'était la sévérité et la protection en même temps. Ça a toujours été comme ça, chez nous. Notre repère. Le réveil, c'était lui. Nous amener aux examens, c'était lui. Faire les courses, lui aussi. Tous les samedis, j'allais avec lui au Leclerc, et je le surveillais. J'essayais de faire en sorte qu'il prenne des choses "bonnes pour la santé", parce que quand même, il fallait maigrir disait le docteur. 120 kg, c'était trop. Mais ça a toujours été vain. Je n'ai jamais su le pourquoi cette obésité. Je ne le voyais pas souvent manger pourtant. Et, comme je l'ai dit, il savait pertinemment cuisiner des plats équilibrés. L'obésité est définitivement plus complexe que juste "arrêter de manger trop de chips".
Il avait des ambitions pour ma.soeur et moi, des projets de réussite, d'excellence. Il surveillait que je travaille bien, me motivait à toujours repousser mes limites et viser toujours plus haut.
A mon bac, j'obtins non pas la moyenne, mais carrément 20/20 en mathématiques cette année là. Il en fut fier, à tel point que tout le quartier fut au courant de ma note.
Puis je passais mon concours de première année de médecine. Je finis 214e/2000. Il fallait être dans les 350 premiers, j'étais donc admise.
J'entrais donc en 2e année de médecine.
*
Mais cette année-là, je fis connaissance non pas avec des gens, mais surtout, avec la mort.
Déjà, je la vis en vrai, en TP, tout simplement. Certains le savent, mais nous réalisons des TP de dissection et d'autopsie en médecine.
Et j'ai donc vu un mort pour la première fois de ma vie cette année.
Avant l'autopsie, le médecin légiste nous a mis en garde :
"ça risque d'être choquant, si vous ne vous sentez pas bien, n'hésitez pas à sortir et à vous assoir. Il n'y a aucune obligation. "
On est entré dans la salle. Ca a été un réel choc. Je revois encore ce corps. Son visage jeune, ses cheveux roux et ses énormes bleus le long de son corps, avec des traces de vomi au coin de la bouche. Imaginer que ce jeune homme était encore vivant quelques heures avant cette autopsie. Puis avoir été retrouvé inanimé. Et finir sur cette table autopsié par un médecin légiste expliquant l'anatomie aux étudiants. Il y a une chose que je n'ai pas pu regarder : la dissection du cerveau. C'était trop. Mais tout le reste, j'ai vu.
N'en déplaise aux rumeurs de maltraitance des corps, tout le monde fut incroyablement respectueux.
Mais l'image m'a hanté des jours. On sort de là différent de comment on y est entré.
Heureusement, j'avais ma maison où rentrer pour ne plus penser à tout ça, ne plus penser à la mort ni à la souffrance.
Pourtant, petit à petit, la maladie atteignit la maison également.
Alors qu'avant mon bac, je le rappelle, je n'avais jamais connu aucune maladie, aucun décès de grand-parent, cette année de 2e année de médecine fut une succession d'annonce de mauvaises nouvelles et de cancers un peu partout dans la famille.
Même mon chat fut diagnostiqué victime de FIV, le sida du chat. Même le chat, oui.
Et vers janvier 2016, au milieu de ma 2e année de médecine, ce fut au tour de mon père de présenter des symptômes.
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Vingt-et-un [TERMINEE]
Non-FictionIl ne s'agit pas d'une histoire d'amour cette fois-ci, mais de mon histoire, véridique et personnelle, vécue en 2017. Désolée par avance, ça ne sera pas joyeux.