La mémoire est étrange. Je n'ai presque aucun souvenir des mois de novembre 2016 à février 2017. Beaucoup de disputes avec mon copain, et une ambiance de plus en plus morbide à la maison. Mon papa était devenu chauve, à cause des chimio.
Puis il y a eu la HAD, Hospitalisation A Domicile. Mon père était alité dans le salon avec des perfusions et des infirmier.es qui venaient régulièrement. Franchement, de mon point de vue, c'est très dur la HAD. Ça amène l'hôpital à la maison, et ça n'offre aucun temps de répit. Ce que je dis souvent pour comparer quand les gens me disent « j'ai perdu mon grand père, je connais », c'est que non, c'est pas pareil. Quand on a un grand-père malade, on est triste, on a peur, mais quand on rentre chez soi, on peut essayer momentanément de penser à autre chose.
Moi, je ne pouvais pas. Même quand je dormais, j'étais réveillée par ce même enchainement de bruits « porte de la chambre de mes parents qui s'ouvre, parquet qui craque, porte des toilettes qui grince, bruit de crachat dans l'eau, tire la chasse, bruit de parquet qui craque, porte qui se referme ».
C'était comme si, toutes les nuits et cela 3 fois par nuit, on me sortait de mes rêves pour dire « Eh, tu te souviens que ton papa a un cancer, hein ? » Aucun répit. Quand chaque repas, mon père doit aller aux toilettes vomir à cause de la chimio, et de la progression du cancer.
Pendants tous ces mois, j'allais en cours à 8h, et je m'endormais de suite. De 8h à 9h je dormais, ça faisait rire les gens, mais moi je n'arrivais plus à lutter contre le manque de sommeil. Parfois, il m'arrivait de dormir 3h d'affilée. Parfois je parvenais à limiter à 30 minutes.
Il y a eu une panne de chauffage a la fac cette année, et je me souviens avoir même pris l'habitude d'apporter mon plaid pour mieux dormir au chaud. A 10h, j'allais chercher un chocolat chaud et une chocolatine à la cafet de la fac, seul réconfort de cette sombre période. J'aimais mes amis d'amphi. J'aimais ces matinées. Paradoxalement, c'était en cours que j'arrivais à ne pas penser au cancer de mon père. Je pensais néphrologie, je pensais même cancer du côlon, parce que oui fallait bien écouter les cours parfois, mais pas au cancer de mon père.
A Noël, il parait d'après mes grands-parents que l'ambiance était très étrange. Apparemment, j'étais là. Je suis bien présente sur les photos de famille. Mais absolument aucun souvenir. Je me rappelle avoir fêté un Noël avec mon copain quelques jours avant, mais pas de cette semaine en famille, pas de ce dernier Noël 2016. Comme si mon esprit s'était totalement fermé à ce moment. Ça n'avait rien de volontaire je vous assure, c'est vraiment après coup que je me suis rendue compte que mon cerveau avait pris la décision d'effacer tous les souvenirs de famille de cette période. Le souvenir de mon dernier Noël est donc celui du Noël juste avant la maladie, à l'époque où « tout allait encore bien ». Après tout, c'est bien aussi.
J'ai ensuite passé mes partiels en début janvier 2017. Oui, la spécialité de ma fac c'était les partiels de la première semaine de janvier, histoire de bien pourrir nos vacances de Noël.
J'ai des souvenirs de ces partiels. Mon père est venu me chercher à la fin de mes partiels. Dans la voiture, il y avait la musique du film Quatre Mariages et Un Enterrement : Love is all around. C'est la dernière fois qu'il est venu me chercher quelque part.
En rentrant, j'entends ma mère dire à mon père « tu as vomis du sang ».
Bon, je n'ai peut-être pas de grandes connaissance médicales à ce stade de mes études, mais j'ai quand même appris une chose. Vomir du sang = urgence. Je convaincs ma mère d'appeler le SAMU. Je ne me souviens plus de la suite. Le samu est venu je crois, ils ont donné quelque chose à mon père et son reparti. Un truc dans ce style.
Le lendemain, épreuve d'Appareil Digestif. Il y avait un sujet, avec écrit « un homme de 51 ans, obèse et se plains de dysphagie ». J'ai totalement fait n'importe quoi et j'ai coché « pas de cancer, pas lieu de s'inquiéter », comme si mon inconscient persistait à vouloir chercher une possibilité de non-cancer. J'ai quand même eu la moyenne, grâce aux questions d'anatomie.
Ensuite, trou noir le plus total du reste du mois de janvier. Je n'avais pas de cours, c'est une certitude. Mais qu'ai-je donc fait de toutes mes journées alors ? Mystère.
Puis, première semaine de février, ma mère m'annonça que mon père allait être hospitalisé. Le 5 février, il quitta la maison définitivement.
Le 11 février, le médecin nous « convoqua » ma sœur et moi pour nous annoncer qu'il ne resterait que quelques semaines. J'ai pleuré.
J'avais prévu de fêter mes 21 ans le vendredi 17 février, quelques jours avant mon véritable anniversaire qui lui, était le 21 février. J'ai beaucoup hésité a maintenant cette soirée. Mais j'ai fini par me dire que après tout, ça n'allait rien changer au cours des choses et que, il valait mieux être entourée de les amis que de passer la soirée seule chez moi.
J'ai donc organisé la soirée du 17 février, qui fut, comme je l'ai dit au début, interrompue a minuit par l'appel de ma sœur.
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Vingt-et-un [TERMINEE]
Non-FictionIl ne s'agit pas d'une histoire d'amour cette fois-ci, mais de mon histoire, véridique et personnelle, vécue en 2017. Désolée par avance, ça ne sera pas joyeux.