Après l'annonce du cancer le 21 juin 2016, j'ai fait une seule chose.
J'ai bu.
Il y a eu les festivals, les fêtes de Bayonne, les soirées d'été, où jamais je n'ai autant bu de ma vie. Je restais dehors jusqu'à 6h du matin à boire et vomir tout ce que je pouvais. Je fuyais la maison autant que possible. Moi, la fille toute sage qui avait à peine fait les soirées d'intégration de médecine, me déchaînais totalement cet été entre la 2e et la 3e année.
Pendant ce temps, mon père commençait les chimios. Je refusais d'entendre les détails de la maladie. Ma mère avait parfois tenté de me poser des questions d'ordre médical mais je refusais de mélanger mes cours et la maladie de mon père.
Elle m'a un jour dit :
- Le médecin nous a dit que c'était un cancer avec des "cellules en bagues à chaton", tu sais ce que c'est ?
Bien sûr que non, à l'époque je ne savais rien. Mais également, je ne voulais rien savoir. J'ai délibérément refusé de faire toute recherche sur internet, je n'arrivais même pas à dire s'il s'agissait d'un cancer de l'estomac ou d'un cancer de l'œsophage. A ce moment, je m'énervais. Je ressentais beaucoup de colère en moi, et d'envie d'accuser tout le monde je trouvais que ma mère en faisait trop, et puis le lendemain pas assez, et puis après encore autre chose. Rien n'allait. Evidement, rien n'allait. Mais je voulais rester loi de tout ça, je ne voulais plus entendre parler de maladie, je voulais fuir ce discours et fermer mes oreilles à tout jamais. Construire un mur entre la maladie et ma vie.
*
Je suis ensuite rentrée en 3e année de médecine en septembre. Je me suis calmée avec l'alcool et je suis revenue en amphi écouter les cours.
Là, j'ai découvert la néphrologie, l'étude du rein, matière que j'ai adorée et sur laquelle je pouvais rester des heures sans m'ennuyer. Malheureusement, il y avait une deuxième matière phare au programme du premier semestre de 3e année de médecine : l'étude de l'appareil digestif. L'estomac et compagnie, en gros.
Ça tombe mal, me direz-vous. Mais au début, ça allait. J'arrivais à étudier les estomacs de mes livres de cours en les dissociant de la maladie de mon père, grâce à cette demande que j'avais faite à ma mère de ne pas me parler de médecine aux repas de famille.
Je maintenais mon rythme.
Jusqu'à ce jour de novembre, en amphi d' « anapath » comme on dit. Anapath, c'est le diminutif «d'anatomopathologie ». C'est l'étude au microscope des différents organes atteints de maladies. Par exemple – et vous allez comprendre – quand une personne a un cancer, on peut être amené à lui faire des biopsies du cancer : on lui prélève un petit bout du cancer pour l'étudier au microscope.
Mais bon, un cours sur des images de microscopes, ça ne m'affolait pas. J'étais assise au milieu de l'amphithéâtre à taper le cours, très attentive et sérieuse, sur mon petit ordi. J'écris très vite en général, je suis capable d'écrire l'intégralité d'un cours magistral sans problème. Ce jour-là, la prof parlais des cellules, de telle forme et de telle taille.
Et soudain, cette phrase.
« Bon, ici vous avez un exemple de cellule en bague à chaton, c'est un cancer de l'estomac assez rare mais catastrophique, ça c'est une espérance de vie de même pas 6 mois, c'est un cancer dramatique et fulgurant, au pronostic effroyable, mais bon c'est hors programme, bref revenons au reste ».
Je me suis littéralement figée. « cellules en bagues à chaton » c''était le terme qu'avait employé ma mère l'autre jour, j'en était sure à 100%. Je lui avais même répondu « non jamais entendu ce terme ».
Je me suis totalement décomposée au milieu de l'amphi. Mes mains ont commencé à trembler. Je n'avais aucune issue, j'étais assise en plein milieu. Je ne pouvais même pas nier ce que j'avais entendu, car la prof avait été d'une clarté limpide. Aucune mauvaise interprétation possible.
J'avais envie de pleurer. J'ai immédiatement cherché à penser à autre chose. J'ai baissé la tête, j'ai pris mon téléphone et je me suis littéralement enfuie dans Facebook. Je scrollais à une vitesse révélant mon état de choc, mais je voulais une chose : ne plus entendre la prof, je ne voulais plus rien entendre. Mais c'était hélas inutile, la prof avait dit la seule chose qu'elle avait à dire et avait changé de sujet. Je me suis effacée dans le fils d'actualité Facebook, j'ai focalisé toute mon attention sur les moindres commentaires futiles que je trouvais, histoire de ne pas craquer.
Ne pas pleurer devant tout le monde. Je n'ai pas pleuré. Enfin pas de suite, parce que j'ai pleuré après quand même. Devant la BU même. Mon copain n'a pas compris.
Mais ce jour-là, le monde s'est effondré. Ce fut ma véritable annonce, le jour où j'ai réalisé que mon père allait mourir d'ici quelques mois.
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Vingt-et-un [TERMINEE]
Non-FictionIl ne s'agit pas d'une histoire d'amour cette fois-ci, mais de mon histoire, véridique et personnelle, vécue en 2017. Désolée par avance, ça ne sera pas joyeux.