Roxanne

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De nos jours - Montpellier - France

Assise sur mon vieux fauteuil Voltaire, les jambes remontées sur les accoudoirs, je tente de ne pas m'endormir avant d'avoir terminé la lecture de mon manuel sur les douleurs abdominales aiguës. Cette première année d'externat aura ma peau, j'ai toujours voulu devenir médecin mais les études sont tellement longues et difficiles.

Je tire le plaid en lin sur mes épaules et ferme un instant les yeux, prête à me relaxer quelques secondes. Je donnerais n'importe quoi pour une semaine de vacances sur une plage déserte. Depuis plus de trois ans, je sacrifie mes heures de repos, mes amis et mes envies de jeune femme dans un seul but; devenir docteur comme ma mère.

Un petit pincement au cœur me tire de ma torpeur et je n'ai tout à coup plus du tout sommeil. Penser à mes parents me rend toujours aussi triste et en colère.

Leeloo choisit ce moment pour bondir sur mes genoux et poser son museau sur ma main. La chatte sent quand j'ai besoin d'un câlin.

— Hello, ma belle.

Je l'attrape et la colle contre mon visage pour respirer sa fourrure angora. Cela m'apaise, son odeur, ses ronronnements. Je me sens déjà mieux.

Je repousse complètement les souvenirs en m'extrayant de mon fauteuil et traverse mon salon jusqu'à l'espace cuisine où m'attend ma cafetière dont s'échappe un fumet agréable. La caféine est ma meilleure alliée pour les soirées de bachotage et je m'en sers une grande tasse brûlante. Je ne devrais pas trop me plaindre de ma situation car je n'ai pas besoin de travailler en plus des révisions. Certains de mes camarades bossent chez Mc Do afin de rallonger les faibles revenus versés par l'hôpital aux étudiants externes et pouvoir se loger, tandis que j'ai hérité de cet appartement sous les toits d'un immeuble haussmannien.

Je verse quelques croquettes dans la gamelle, mais Leeloo m'ignore. Elle s'est figée devant la fenêtre et fixe l'extérieur.

— Tu regardes quoi?

Je la rejoins et tente de deviner ce qui absorbe tant son attention.

La Rue Foch est vide à cette heure tardive, d'autres quartiers montpelliérains sont bien plus vivants après minuit, mais ici, les familles bourgeoises ne trainent pas dehors à la nuit tombée. Les lampadaires éclairent ici et là des parterres de fleurs du Sud, sauge rose, lavande et buissons de romarin. D'ici, j'ai une jolie vue sur les colonnes impressionnantes du Palais de justice et si je me penche un peu plus, je vois sur la gauche l'Arc de Triomphe qui marque l'entrée de l'ancien rempart protégeant la cité.

Un mouvement sur la droite attire mon attention. Une silhouette sur le trottoir en face, légèrement cachée derrière un arbre. Un homme, assez grand et élancé. Bizarrement, j'ai l'impression qu'il lève son visage et regarde vers moi. Surprise, je recule en me souvenant que je suis en short de nuit avant de m'avancer de nouveau pour constater qu'il n'y a personne. J'ai dû rêver. Je tire quand même les rideaux, gênée par l'idée que l'on puisse m'observer depuis la rue. Demain je vérifierai ce qu'on distingue d'en bas, j'habite au 3eme étage, peut être que les passants ne me voient même pas à cette distance.

Je regagne mon siège et reprends ma lecture, bien décidée à terminer ce chapitre au plus vite. Mais mon esprit retourne vers l'ombre aperçue dans la rue.

Ce n'est pas la première fois cette semaine que j'ai l'impression qu'on m'observe. Cet après-midi, en rentrant de la fac, j'ai senti des picotements sur ma nuque. Et quand je me suis retournée pour trouver la source de mon trouble, j'ai croisé une paire d'yeux sombres, ourlée de longs cils noirs. Et comme tout à l'heure, l'homme a disparu en un clin d'œil.

Un frisson me parcourt à l'idée que je puisse être suivie par un taré. N'ai-je pas déjà assez souffert dans la vie ?

Orpheline à 7 ans, je suis passée de centres sociaux surpeuplés en familles d'accueil où je ne me sentais jamais à ma place, jusqu'à ce que je demande mon émancipation le lendemain de mon seizième anniversaire. Comme mes parents m'ont laissé cet appartement et qu'une assurance vie subvient à mes besoins, je me débrouille seule depuis.

Je ferme d'un grand coup sec mon livre et le jette sur la table basse, renversant la tasse et répandant le café sur mon tapis berbère. Un objet que mes parents avaient rapporté d'un voyage au Maroc.

— Et merde!

A fleur de peau, je retiens les larmes. Je suis épuisée, je ne ferai plus rien de bon ce soir. Après une bonne nuit de sommeil, je ne serai plus paranoïaque et arrêterai de m'inventer un Stalker.

Je me traîne jusqu'à ma chambre et me recroqueville autour d'un coussin. Leeloo me rejoint d'un saut feutré et se love contre mon cou.

Les ténèbres m'enveloppent instantanément.

RoxanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant