— Mademoiselle Muller ?
Je gratte une petite peau autour de mon ongle avec application.
— MADEMOISELLE MULLER !
Le ton énervé du professeur Delafont me sort de mes rêveries et, vu son regard sévère braqué dans ma direction, il s'adressait certainement à moi.
— Euh, oui ?
— Et bien, j'attends votre réponse.
Aïe, j'ai dû me perdre dans un monde parallèle durant les trente dernières minutes car je ne sais pas du tout ce qu'il attend de moi. Assise à ma droite, Loanne me donne un coup de coude discret et me montre l'écran de son ordinateur. Je vois un tube sanguinolent et coudé... la crosse de l'aorte.
— Alors, oui, oui. La crosse aortique est le premier segment de l'aorte et elle décrit une courbe dans le médiastin autour du pédicule pulmonaire gauche. D'où son nom !
— Très bien, mais je vous demanderai de vous concentrer, il reste deux heures de cours.
Deux heures ? Je ne sais pas ce que j'ai cette semaine, j'ai du mal à écouter les profs plus de deux minutes et les révisions sont une torture. Je dois relire chaque passage cinq fois avant d'imprimer dans ma petite caboche.
Je dors mal et rêve de serpents aux yeux jaunes jonchant le sol de ma chambre ou d'individus à la peau écailleuse. C'est certainement dû à la présence du journal intime de maman, posé sur ma table de chevet depuis ma visite dans la cave.
Cher journal, j'ai rencontré l'homme de mes rêves.
Je ne me résous ni à le jeter ou ni à le lire, c'est trop dur, mais j'y pense sans cesse et c'est stressant. Freud saurait trouver le rapport entre les serpents et le manque de mes parents, non ? Lui qui savait décrypter les rêves.
J'ai si peu de souvenirs de ma famille. Je me les représente souvent tels qu'ils apparaissent sur les clichés collés dans nos vieux albums. Maman enceinte de moi, rayonnante et si jeune. Elle a brillamment achevé ses études de médecine et sa thèse tout en gérant un bébé joufflu qui refusait de dormir ailleurs que dans ses bras. Papa avec son éternel veste en cuir, style Indiana Jones, qui m'aide à faire mes premiers pas. Maman me serrant contre elle et brandissant son diplôme dans la cour d'honneur de la faculté de médecine.
Nouveau coup de coude !
— On y va ! m'informe Loanne en récupérant ses affaires, j'ai trop la dalle !
Déjà ? Les sauts dans le temps existent ou quoi ? Je viens de louper la fin du cours sur les artères.
— Tu as toujours faim, Lolo !
— En parlant de ça, on se fait un p'tit crème avec un cupcake chez Lila ou au Gram ?
Bien que la proposition me tente et que les deux salons de thé soient à quelques mètres de chez moi, j'ai envie d'être seule.
— Je... non, j'ai des choses à faire.
— Ça va, Roxie ?
Je ne sais pas si ça va, donc je me contente de hausser les épaules avec un petit sourire :
— On se retrouve plus tard au Polygone pour acheter le cadeau de Jo.
Loanne m'observe quelques secondes avec de répondre :
— OK. A plus.
Sans l'attendre, j'attrape le Tram bleu de la ligne 1 et quand j'arrive Boulevard Henri IV, je fais un petit détour par la rue de l'école de Médecine au lieu de filer droit chez moi, et sans m'en apercevoir je me retrouve devant l'entrée du bâtiment historique. Est-ce que maman avait ce petit pincement au cœur à chaque fois qu'elle voyait apparaître les piliers gothiques de la cathédrale Saint Pierre ou l'entrée grandiose de la faculté de Médecine ? Pourquoi je pense tant à elle en ce moment ?
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Roxanne
Romance(Comme je n'ai pas écrit depuis des mois, j'avais envie de retrouver le travail en communauté sur Wattpad comme pour mes premiers romans. Cette histoire est en construction et j'espère réussir à stopper ce satané syndrome de la page blanche grâce à...