Roxanne

Minkah

Mon cœur se crispe et une douleur sourde naît au creux de mes reins, à l'emplacement exact où se trouve le tatouage symbolisant le prénom de l'enfant. Je reste un moment sans comprendre la signification de ce malaise puis tout devient clair; j'endure la souffrance de Rhôxane, comme la toute première fois où je l'ai rencontrée.

D'abord surpris, je m'apprête à courir la rejoindre quand l'émotion qui vient de me submerger se précise; la jeune femme ne risque rien. Je devine qu'elle n'est pas blessée dans sa chair, juste malheureuse, seule et perdue. Sa tristesse va et vient en moi par vagues, et c'est le long de ma propre joue que coule une larme déroutante. Je n'ai pas pleuré depuis de si nombreuses années que le goût salé me surprend en atteignant la commissure de mes lèvres. Je ressens son chagrin avec la même intensité que si c'était le mien et l'envie de la réconforter me tenaille le ventre.

Impuissant, je serre les poings car je me suis déjà trop mis à découvert.

Je souhaitais savoir si tout allait bien pour l'enfant, mais c'était idiot de ma part de rôder ainsi autour de l'appartement nuit après nuit depuis des semaines. Je dois garder mes distances! Vivre dans son ombre comme je l'ai déjà fait, vérifier régulièrement qu'elle suit le cours de sa vie, qu'elle accomplira sa destinée. Même si cela ne me concerne pas. Ce n'est pas mon rôle, elle n'est pas MA protégée.

Je ne parviens pas à expliquer ce besoin viscéral qui me ramène vers elle aujourd'hui, surtout que la proximité multiplie notre connexion, comme le champ d'attraction d'un astre.

Néanmoins, à l'heure actuelle, ce qui m'alarme vraiment c'est l'apparition des fils de Seth hier soir au restaurant et aujourd'hui dans ce parc. Heureusement que leur odeur pestilentielle trahit leur présence et m'a permis d'éviter le pire. Pourquoi sont-ils à sa poursuite?

Seth n'a jamais pris part au Cycle des Cent, je ne savais même pas que le dieu de la confusion et du désordre était au courant de son existence. Si seulement Bastet s'adressait encore à moi, elle m'expliquerait mon rôle et comment aider Rhôxane, mais la déesse Guerrière ne parle plus à ses troupes depuis des siècles. Elle nous a délaissé quand ses fidèles ont déserté les temples de Tell Basta, comme si elle s'effaçait en même temps que le culte que lui vouaient les gens.

De toute manière, Rhôxane voudra-t-elle de mon aide? Après tout, c'est ma faute si elle est si seule, je n'ai pas su protéger les siens. Je me suis laissé surprendre.

Penser à la mort me ramène à la première fois où je l'ai vue, se tenant raide et solitaire devant le cercueil de ses parents. Une orpheline habillée tout de noir dont la douleur se communiquait à mon corps sans filtre. M'obligeant à rester près d'elle durant ses mois de deuil pour la protéger et atténuer sa tristesse.

Quinze ans déjà que je ne l'avais pas revue, même si sa présence planait à l'orée de ma conscience à chaque seconde.

Aujourd'hui, elle est devenue une femme. Une future médecin comme sa mère. En inspectant ma peau redevenue lisse et saine comme celle d'un nouveau-né, je songe à ses doigts courant sur ma brûlure et lutte contre l'effet troublant provoqué en moi. Elle voulait me soigner alors que je ne crains rien. En général, mes blessures, même les plus graves, guérissent avec un peu de repos. Elle n'avait pas à s'inquiéter pour moi.

La douleur dans mes reins reflue. Rhôxane a dû se calmer.

Alors que ce lien puissant s'estompe, l'impression de vide m'assaille.

Je suis de nouveau seul.