— Tu es certaine que ça va ? Je n'ai pas très envie de te laisser seule si tu flippes.
Depuis trente longues minutes, je tente de rassurer mes amis sur le fait qu'il ne s'est rien passé de grave. Ils ont absolument tenu à écourter la soirée et me raccompagner chez moi, et à présent je ne parviens pas à me débarrasser d'eux.
— J'ai juste eu affaire à un petit branleur trop insistant, Lolo.
— Mais tu étais blanche comme un cachet d'aspirine. Déjà qu'en digne rouquine, tu es toujours très pâle !
— Je ne suis pas rousse mais blonde...
Je sais bien que Loanne tente de me changer les idées mais ils doivent comprendre que je souhaite juste dormir.
— Il ne t'a pas dit son nom?
De qui parle-t-elle?
— Il sortait d'où le beau brun? insiste-t-elle, Incroyable ce qu'il en imposait.
— Je ne sais pas. Il est intervenu pour me débarrasser d'un lourdaud.
— Il était putain de Wahou !
Le visage de mon sauveur me revient. Oui, il est assez captivant.
— Pfou, rouspète Jo vautré dans mon fauteuil, dès que vous croisez un mec qui se la joue ténébreux, vous mouillez votre petite culotte.
— Bon, les enfants, je vais bien et vous pouvez rentrer chez vous. Allez...
Je dois les pousser jusqu'à la porte et la refermer sur eux en promettant de les appeler si je ne me sentais pas bien. Le verrou tiré, je pousse un profond soupir de soulagement, j'ai cru qu'ils allaient dormir sur le canapé.
Enfin seule. En réalité, pas tout à fait, car mon esprit revient sans cesse vers l'inconnu. Cette fois, je suis certaine que ce n'est pas le fruit de mon imagination, même si les vives émotions causées au moindre de nos contacts sont incompréhensibles. Je ne suis pas particulièrement émotive, la vie m'a appris à encaisser, c'est pourquoi mes propres réactions m'étonnent. Je me remémore son apparence pour éviter de l'oublier. Plus grand que moi, il n'a pas une carrure imposante mais une force indéfinissable s'échappe de son corps nerveux. Comme un animal sauvage. Je sursaute quand Leeloo frôle mes chevilles et étudie sa progression autour de mes jambes durant quelques secondes. Cet homme bouge comme elle, sans à-coup, sûr de lui, presque délicat. Ces mouvements sont apaisants.
Je me penche, attrape la minette sous le ventre. Elle se laisse pendre mollement et attend paisiblement que je la porte à mon visage. A mon habitude, je la respire et frotte mon nez contre son pelage soyeux. L'idée saugrenue que je pourrais faire de même dans les cheveux de l'inconnu me traverse. N'importe quoi!
— Bon ma beauté, on va dormir car je commence à délirer.
Je suis ma routine quotidienne sans laquelle le sommeil ne vient jamais. C'est comme ça depuis ma plus tendre enfance; Je me couche en chien de fusil, la couette tirée jusqu'à mon menton et plaque un oreiller contre mon ventre. Je suis incapable de m'endormir dans une autre position! Bien installée et rassurée par la chaleur du coussin, j'éteins ma lumière. Je ne ferme jamais les rideaux car j'aime la demi-pénombre créée par les lampadaires de la rue. Je sais que c'est infantile mais être plongée dans le noir total me terrifie.
Leeloo met moins de dix secondes pour se rouler en boule contre ma nuque, habitude qu'elle a prise dès sa première nuit à mes côtés. Il y a sept ans, lorsque j'ai obtenu ma liberté et emménagé ici pour mes 16 ans, je l'ai trouvée sur le pas de la porte. J'ai pris sa présence comme un signe que j'avais fait le bon choix, car mes parents adoraient les chats et nous en avions toujours un ou deux à la maison.
Pourtant ce soir, son ronronnement ne parvient pas à me délasser aussi facilement qu'à l'accoutumée, mon esprit ressasse inlassablement l'altercation entre les deux mecs du bar et les sensations inexplicables. Avec le recul, je me rends compte qu'ils devaient se connaître.
Bonjour Ebn Apep, comment vas-tu depuis tout ce temps?
Mon protecteur a parlé dans une langue qui ressemblait à de l'arabe. Que veut dire Ebn Apep?
Tu n'as pas à mourir ce soir!
Me suis-je retrouvée malgré moi au milieu d'une sorte de guerre de gang ? Allan semblait terrorisé par son adversaire. De mon côté, au contraire, je me sentais complètement rassurée par son apparente tranquillité. Pourquoi me paraît-il si familier? Sa présence à l'ancienne Fac de médecine ET au même bar que moi était-elle vraiment une coïncidence?
Le ronron perdu dans mes cheveux s'estompe et un autre son, comme une interférence, s'y substitue petit à petit. Je ne m'y attarde pas car ça vient sûrement de chez les voisins du dessus, et surtout les dernières paroles de mon sauveur m'obsèdent.
Prenez soin d'elle. Elle est précieuse.
Précieuse? J'aimerais tant être précieuse ou même indispensable à quelqu'un, comme mes parents l'étaient l'un pour l'autre. Cet amour inouï les a guidé toute leur vie et a certainement causé leur mort.
Le bruit perturbant s'amplifie et j'identifie des voix féminines. Est-ce qu'il y a une fête dans l'immeuble? Les mots sont bien audibles à présent mais échappent à ma compréhension, ce n'est pas du français. Ai-je oublié de fermer une fenêtre ?
Soudain, un truc bouge contre ma jambe, comme si un serpent se tordait sur ma peau, la même sensation que lorsqu'Allan m'a touchée. Je soulève hâtivement le drap, certaine de trouver mon chat, mais il n'y a rien.
— Leeloo ?
Je me lève et inspecte ma chambre. Pas trace du mini félin, ce qui n'est pas normal car elle ne s'éloigne jamais de moi. Je m'apprête à l'appeler quand les voix reprennent leur cacophonie dans des dizaines d'idiomes différents, mais c'est la femme aux inflexions italiennes que je comprends le mieux.
— Roxie ?
Cet accent mélodieux ne m'est pas inconnu.
— La mia bambina.
Dans l'angle obscure, à droite de la porte, je perçois un mouvement. La masse est trop grosse pour être Leeloo.
— Mon dieu, qui...
— Roxie, tu dois fuir. Tu es si précieuse.
Je suis prise d'un tremblement incontrôlable. C'est la voix de ma mère. Je ne comprends plus rien, comment Régina pourrait être ici? Je fouille la nuit du regard.
— Il saura prendre soin de toi.
Attends, attends, attends... Je rêve, non? Je me suis endormie et mon inconscient me joue un tour. C'est la seule explication.
— Roxie?
Oh, que j'aimerais que maman soit là et qu'elle me prenne dans ses bras. D'autres mots me parviennent encore, étouffés. De l'anglais? De l'arabe? Du latin? Comme une mélopée.
Réveille-toi, Roxanne. C'est trop réaliste et flippant, allez!
Que mon sauveur au regard sombre se matérialise devant moi à ce moment-là me surprend à peine. Je me suis endormie en pensant à ses traits finement ciselés et à sa peau hâlée donc pourquoi ne pas le retrouver dans ce cauchemar. Il me tend la main et répète les mêmes mots que plus tôt :
— N'ayez pas peur, Rhôxane.
J'adore la façon dont il prononce mon prénom, d'une manière modulée et sensuelle. Il emprisonne mes doigts au creux de sa main et me ramène vers mon lit. Il m'aide à m'allonger et se love derrière moi comme si c'était complètement naturel. Ok, je devrais avoir peur mais ce n'est qu'un rêve qui commence d'ailleurs à être plutôt agréable.
— Chut, tout va bien.
Il tire la couverture sur nous et pose sa paume sur mon ventre, créant un cocon tiède autour de moi. Un son régulier accompagne sa respiration dans le creux de ma nuque. On dirait qu'il ronfle, non plutôt qu'il ronronne.
A présent que j'aspire de tout mon cœur à retenir ce rêve, il s'évapore.
Et la nuit me recouvre de son voile opaque.
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Roxanne
Romance(Comme je n'ai pas écrit depuis des mois, j'avais envie de retrouver le travail en communauté sur Wattpad comme pour mes premiers romans. Cette histoire est en construction et j'espère réussir à stopper ce satané syndrome de la page blanche grâce à...