⚜ Chapitre 14 - Souvenirs de soi ⚜

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Il faisait froid, très froid, des températures inhabituelles, étrangères pour cette période et ces terres. À Paris une fine couche blanche couvre chaque matin les rues, vite écoulée par le peu de rayons  qui s'installaient mi-journée.

Oui, il y a du soleil mais la lumière reste timide, le ciel est partiellement couvert d'un gris monotone et vague ; c'est l'hiver pauvre, l'hiver rude.

De quoi rappeler quelqu'un...

Tout est d'un calme pesant excepté dans cette cour, cette étendue de terre mélangée à la neige, d'arbres et de feuilles qui périssent peu à peu. Ici restent des généraux, des officiers, sous-officiers, gardes et au milieu, en orateur, l'Empereur de France.

Résistant au vent gelé, les hommes écoutent avec leur plus firme posture les derniers ordres de leur empereur, ce dernier prend un ton confiant et sincère malgré la récente défaite :

"Il y a, et il y aura toujours, des moments de votre vie où le combat se poursuivra seul. À mon grand regret je dois m'éloigner de mon peuple et vous faites partie de ces belles et braves personnes que je remercie aujourd'hui. Sachez qu'en ces jours un mal ronge votre pays, c'est un fléau venu de l'Est.

Gardez votre courage, mes hommes, car vous êtes mon avenir !"


Sur ces mots France tend la main à leur général et les deux hommes se serrent la main, yeux dans les yeux. Ils se séparent enfin et chacun recule, annonçant que maintenant chaque personne ici retournerait à ses occupations.


Mais quelles seraient les occupations d'un empereur retiré du grand pouvoir ?

Étant donné qu'il cherchait l'isolement, le temps lui inspirait bien des choses. Des choses d'une tristesse parfois, des pensées peu joyeuses en tout cas.

Entrant dans cette pièce qu'il ne pouvait fréquenter par ces temps chargés, un soupire de soulagement lui échappe : l'odeur de la papeterie et de la peinture prolifère, de la poussière s'était légèrement déposée sur le plan de travail et le bureau.

L'empereur français avance lentement jusqu'à son siège, efflorant le bureau et récupérant la poussière du bout des doigts. Il s'assied enfin et sort une feuille d'un tiroir là où il trouvera, rangés à côté, la plume et l'encre.

Combien d'idées fusaient dans sa tête à ce moment, pourtant son visage demeurait impassible.

D'un coup, à la seconde où l'encre allait tâcher le papier, un fin voile noir vient envahir la pièce : le soleil s'était couvert de nuages sombres.

Plus agacé que déprimé, le pays se lève et se prépare à éclairer ses textes à la bougie.

Le ciel n'aide définitivement pas à l'oublier.

France retourne enfin à sa place et pour le freiner encore plus sa main tenant la plume se met à trembler, un frisson remonte de ses doigts jusqu'à ses épaules et l'empêche de bouger. Son regard, tout aussi figé, se concentre sur le vide mais devant ses yeux, pour lui, des milliers de choses défilent.

Devant lui il voit la guillotine, autour il entend les encouragements incessants, baissant la tête il voit le liquide rouge couler le long de ses mains. Il se lève soudainement, au sol gît cette tête qu'il n'a jamais eu le temps de connaître et pourtant il sourit. Mais pour rien au monde ce sourire n'avait ne serait-ce qu'une once de bonne nouvelle : regret ? Folie ? Peur ? Stress ? Tristesse ?

Qui le sait, ou qui le saura ?

Abandonne.

"Non"

Détruis la souffrance.

"Non !"

Il aime d'autres, tu resteras seul.

"Non..."


Se tenant la tête, perdu au plus haut point, sentant ses ongles s'enfoncer dans son crâne qui ne cessait de lui faire mal, il perd l'équilibre et tombe avachi sur son bureau en se tordant de douleur et de rires intempestifs.

Et maintenant c'est le bois qui raisonne sous les coups de poing qu'il y met, comme si le défouloir servait vraiment à guérir son mal...

Pourtant rien ne part, plus il pense plus il meurt. Les larmes rouges coulent sur le côté de ses yeux et les sillons tracés par les griffures brûlent encore plus au fur et à mesure que les secondes passent. Ça ne cesse pas, c'est sans fin.

...

Soudain, tout s'arrête.

Difficilement, France reprend ses esprits et sa respiration avec, tenant encore de ses mains le bureau quand ses jambes ne pouvaient le faire tenir debout. Il redécouvre la pièce dans son intégralité et entend maintenant l'écho de la pluie frappant contre les vitres derrières lui. Oh, rien n'a jamais été aussi agréable que ce petit silence.

Ce qui le fera sortir de cette reprise de conscience sera le bruit discret des larmes et du sang qui chutent et tâchent le tapis. Après un très léger sourire de réconfort, il se remet droit sur ses pieds et pousse un grand soupire. L'empereur ne reste pas au bout de ses peines, il entend la porte se faire forcer. Il relève la tête et se dirige, non sans ruminer, vers cette dernière et prend en mains la poignet : il hésite.

Le français tente de cacher ses yeux abîmés et fatigués et s'empresse de trouver un tissus pour  essuyer d'un minimum ses blessures. Choses faites, il ouvre enfin la porte pour tomber sur un couloir vide. Qu'était-ce encore ? Peut-être sa tête encore sonnée qui lui jouait des tours.

Néanmoins, par sa curiosité et son désarroi du moment présent, il sort de la pièce en se faisant le plus discret possible car il ne souhaitait pas briser le silence paisible du bâtiment.

Il marche et s'avance dans les couloirs et cherche une éventuelle présence mais personne n'est là. Le petit révolutionnaire hausse les épaules et tourne les talons, commençant la marche retour vers son repère.


C'est très étrange, dans ses lieux qui lui sont pourtant familiers il sent là une sensation de froid le suivre de près mêlée au profond sentiment que des yeux sont sur lui.

"Père, ça ne peut être toi. Qui décide de me rendre fou là maintenant ?"


Demande-t-il au vide qui ne lui répondra pas. Il se répond à lui-même :

"C'est dans ma tête, tout ça n'existe pas. S'il était ici je le saurais."


Une centième fois sans prévenir, sa bouche se fait couvrir juste après sa phrase par des mains froides comme celles d'un mort. Il suffoque et se débat mais en vain et France finit par perdre sa respiration, ses yeux ne lui font maintenant voir que du noir.

Au cœur de l'EmpereurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant