Pensées d'une Pisteuse

37 1 0
                                    

Pensées d'une Pisteuse

D'aussi longtemps que je m'en souvienne j'ai toujours été différente des autres petites filles. J'étais destinée à faire de grandes choses, j'étais la seule à voir des êtres que les autres étaient incapables d'apercevoir. Jusqu'à ce jour.

Lorsque j'étais enfant, mes parents ne me disaient jamais de ne pas avoir peur du noir, au contraire, ils me recommandaient de m'en méfier, de le fuir comme la peste. Ils ont toujours crû que la lumière viendrait à bout de tout. Ils ont toujours pensé que j'incarnais cette lumière.

Aujourd’hui, je n'en suis plus très sure. Il y a d'abord eu cet homme, ce monstre que j'ai rencontré au cimetière. J'aurais dû le tuer tant que je le pouvais encore ! Mais quelque chose m'a retenu. Ses yeux...

Il semblait différent de ses semblables, que j'avais appris à haïr après ce que l'un d'entre eux avait fait à ma mère. Ce n'était pas sa faute. Elle n'était pas comme ça avant. La mort tragique et soudaine de mon père l'avait plongée dans un état second, proche de la folie. Elle avait commencé à boire, se retranchant dans le silence, se balançant souvent sur son rocking-chair qui produisait des grincements inquiétants.

Quant à moi, mon monde était ailleurs. Je ne m'intégrais pas à l'école, je n’essayais même pas de faire un pas vers les enfants qui me regardaient comme une bête curieuse. L'un d'entre eux m'embêta un jour...il ne recommença jamais. Je sais que je ne leur inspirais que peur et répulsion. Je sais parfaitement qu'ils me craignaient. Oh, ils s'efforçaient bien de donner le change et les insultes fusaient sur mon passage mais aucun d'eux n'osait plus m'approcher.

Aujourd’hui, c'était la première fois que je me sentais si impuissante et stupide. En cage, seule avec une horde de créatures étranges, qui allaient peut-être faire de moi leur prochain repas (allez savoir de quoi ils étaient capables), je perdais espoir. Toutes mes bonnes résolutions, tout le courage dont j'avais fais preuve jusqu'à là, paraissaient s'être envolés brusquement, me laissant vide.

J'avais conscience que mes espoirs de survie devaient à présent reposer sur mon « ami » du cimetière. Je ne sais pas ce qui m'énervait le plus : mourir sans avoir pu me défendre ou dépendre ainsi de ce monstre ?

Alors, comme je n'avais rien de mieux à faire, je replongeais dans les souvenirs de mon enfance.

Je jouais dans ma chambre... Pas avec des poupées comme toutes les petites filles de mon âge mais je m'inventais des mondes extraordinaires que je pouvais parcourir en toute liberté. Mes parents encourageaient mon imagination, ils disaient que j'étais capable d'avoir une vision différente de l'univers tout entier. Selon eux, j'étais unique. Seulement, ces lieux magiques dans lesquels je m'enfermais m'éloignaient des autres. Le pire, c'est que les choses que j'imaginais dans mes pires cauchemars commençaient à prendre forme, devenant de plus en plus réelles, de plus en plus dangereuses.

Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Mes parents disaient que c'était normal, que cela faisait partie d'un étrange processus qui ferait de moi ce qu'il nommait une Pisteuse...Eux aussi étaient comme moi. Pourtant je savais qu'ils me cachaient quelque chose. Que ce qui m'arrivait était plus grave que ce qu'ils avaient subi. Je me retrouvais souvent avec des marques de griffures sur les deux bras, me débattant avec les créatures horribles qui peuplaient mes songes, il m'était  même arrivé de hurler en plein milieu d'un film, tandis que nous étions au cinéma avec ma classe. Un petit garçon se tenait à quelques mètres de moi, suspendu au grand écran, ses jambes se balançaient dans le vide. Je compris bien vite qu'il n'y avait que moi qui était capable de le voir.

Mon visage s'assombrit de jour en jour, je devenais distante, renfermée, presque brutale parfois. Mes yeux avaient perdus leur éclat, une dureté effrayante s'installant en eux.

Les autres se mirent à me craindre, puis, à me fuir. Je me sentais seule, rejetée. J'avais besoin de quelqu'un qui puisse me réconforter, qui puisse m'entourer de sa lumière et me protéger des monstres qui n'attendaient que le moment de fondre sur moi. Mais il n'y avait pas que le noir qui me faisait peur, car je savais que de jour aussi, ils se montreraient.

Ils ne m'attaquaient que la nuit, tentant de m'entraîner dieu, ou plutôt, le diable savait où. Certains d'entre eux malgré tout, ne faisaient que m'observer avec curiosité. D'autres encore m'abordaient, tendant leurs mains décharnées vers moi dans l'espoir que je les aide à trouver la paix.

Je me mis à écrire. Je décrivais chaque créature que je voyais. Je mettais un nom sur ces visages grimaçants. Mon « grimoire » fut bien vite remplit. Il y avait tellement d'espèces différentes, certaines se ressemblaient, sans pourtant être identiques. Certaines opéraient de nuit, d'autres n'apparaissaient que le jour...

Malheureusement, je ne pouvais pas tout consigner dans ces pages, parce que je n'avais pas encore rencontré tout le monde. Un être en particulier s'était toujours caché de moi, un être qu'on aurait jamais pu soupçonner mais qui s'apprêtait à détruire ma famille...

Revenge sortit de ses pensées, un raclement l'avait alertée. Elle se redressa aussitôt, sa cage tanguant dangereusement au dessus du vide. Elle se cogna la tête au passage et retint un gémissement de douleur.

Une créature minuscule la scrutait attentivement, penchant la tête sur le côté dès qu'elle faisait un geste.

Elle leva une main et la créature l’imita. Amusée, elle leva bien haut la jambe et l'autre fit de même, manquant s'étaler par terre. Revenge rit franchement. C'était un homoncule, une des créatures autrefois créées par de puissants alchimistes. Elle devait reconnaître qu'il était amusant avec son long manteau et son béret gris.

Il posa un doigt sur ses toutes petites lèvres, agacé.

- Tu vas alerter les autres stupide gamine ! articula-t-il, ses paroles peinant à arriver jusqu'à elle du fait de sa petite taille.

Il était déjà trop tard. Un homme, vêtu intégralement de noir,  était apparut de nulle part.

Son sourire édenté et ses cheveux clairsemés lui donnaient un aspect repoussant. Ses pupilles brillaient d'un éclat mauvais.

- Tiens tiens tiens...mais ne serait-ce donc pas notre admirable Pisteuse ? La Grande Revenge en personne ? J'ai beaucoup entendu parler de toi...En particulier d'une certaine créature. Tu le connais, il a tué ton père ! siffla-t-il avec amusement.

Le sourire hautain qu'arborait Revenge s'effaça aussitôt. Son kidnappeur LE connaissait. Elle n'avait jamais été aussi proche d'accomplir sa vengeance...

VengeuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant