3 - Zola

295 28 1
                                    

« Toi, qui me prenais pour une faible femme, sans doute. Alors que je ne suis qu'un monstre. Un monstre qui a grandi en Enfer. »

– Karine Giebel.

On choisi ses amis, pas sa famille.

Et croyez en ma malheureuse expérience : il est beaucoup plus évident de se séparer du premier que du second.

La famille, c'est le sang. La famille, c'est l'enfance. C'est l'éducation. C'est l'amour. C'est une partie de qui vous êtes.

Alors même si vous la haïssez, c'est votre passé, vos ancêtres.

Certains liens sont – et je le déplore – incassables.

Ainsi, comment faire quand ses parents sont le mal incarné, comment vivre avec ?

Est-ce seulement possible d'être quelqu'un de juste si l'on provient de l'enfer ?

Honnêtement, je n'ai pas encore trouvé de réponse à cette question.

Mais espérons que ce soit « oui », sinon, je suis perdue.

Soupirant, je chassais mes funestes pensées pour me concentrer sur le chemin.

Marcher à travers les rues de New-York, à l'heure de pointe, pour me rendre au boulot, était toujours une épreuve. J'avais beau posséder une canne pour me guider et connaitre le chemin par coeur ; certaines personnes pressées se comportaient bien trop souvent comme des imbéciles.

Mes sens aux aguets, je sentis l'odeur de la boulangerie française en même temps que j'entendais la voix de Thérèse, à l'intérieur, qui remerciait un client. Cette indication me signifiait que je n'étais plus qu'à une boutique de celle où j'allais.

A l'instant où je reconnu le panneau de présentation affiché à l'extérieur, écrit en braille, je tournai sur ma droite pour renter dans les lieux.

Je travaillais dans une boutique spécialisée pour les personnes en situation d'handicape, aveugles et malvoyantes. Les articles se présentaient sous la forme d'une multitude de livres audio et en braille,  de cannes pour se guider, de téléphones et montres adaptées, ainsi que de toutes sortes d'objects capables de faciliter la vie de ceux qui ne voyaient pas. Mon patron avait eu l'idée de ce magasin en voyant à quel point son propre père - qui était aveugle suite à une maladie dégénérative - avait tendance à être embêté face à certaines actions du quotidien qui semblaient pourtant anodines.

Depuis, son affaire s'était révélée être un véritable succès et il avait propagé ses différentes  commerces, à travers le pays. Il tenait également à ce qu'une partie du personnel soit malvoyant, car il savait parfaitement à quel point la recherche d'un travail pouvait s'avérer compliquée pour nous. De ce fait, tout le matériel -jusqu'à la caisse ou la réserve- était adapté, permettant à chacun de travailler aussi efficacement que n'importe qui d'autre.

A l'origine, quand j'étais arrivée à New-York,  j'avais pris ce job principalement pour payer les factures. Néanmoins, ces lieux s'étaient avérés intéressants, instructifs et divertissants ; travailler dur avait la fonction de remplir mon esprit et de ne plus penser à mes profondes angoisses.

– Salut Emma, s'exclama Shaun alors que je posais le pied dans la boutique.

« Emma West » était la fausse identitée que Joe m'avait procuré à mon arrivée à New-York. Un prénom français commun. Il avait décidé que cela convenait parfaitement à mes origines françaises et à cette langue que mon père m'avait enseignée depuis l'enfance.

– Salut, répodis-je avant de lui poser ma question habituelle, C'est une belle journée, aujourd'hui ?

Je l'entendis se pencher par-dessus le comptoir afin de regarder à travers la vitrine.

– Ça va, le ciel est un peu gris.

– Je te redemanderai demain, alors.

– Comme chaque jour, conclu-t-il en rigolant.

Shaun était un de mes jeunes collègues qui voyait parfaitement bien. Il m'assistait dans certaines tâches que je ne pouvais pas accomplir seule, et la plupart du temps, on rigolait bien ensemble. Il était de bonne compagnie ; surtout quand on travaillait tard, le soir, au moment où les clients se faisaient rares. On s'amusait alors à faire les imbéciles dans le magasin et à développer notre futur spectacle d'humour : un «two-man-woman-show» qui ne verrait probablement jamais le jour.

Je me dirigeai vers la salle des employés pour poser mes affaires dans mon casier et enfiler le tablier - uniforme officiel - de la boutique.

– Alors, qu'est-ce que je peux faire ? demandai-je en revenant vers mon collègue qui, d'après le ronronnement du stylo sur le papier, était en train d'écrire.

– J'ai commencé à faire l'inventaire, soupira-t-il en se plaignant de sa corvée, Tu peux ranger les livres. On a reçu un nouveau carton, il est posé devant la bliothèque D.

Je hochai la tête, sachant parfaitement comme me repérer, et allai m'emparer de la boite pour commencer à ranger. 

Chaque étagère possédait une lettre en braille afin de classer les livres ; cela permettait également aux clients malvoyants de se repérer.

Mon doigts se figea quand je constatai que le septième livre que je tenais était « Germinal » de Emile Zola.

Zola.

Tout me ramenait toujours à ce nom.

J'étais née Zola Black et je cherchais, à tout prix, à le fuir.

Je ne pouvais simplement pas l'accepter, à la seule entente de mon nom de famille, j'étais écoeurée.

La puissante famille Black...

Elle était reconnue dans le monde du crime pour être intransigeante et sans pitié, pas le genre à faire des cadeaux. Ce n'était pas une institution comme un gang, un groupe de malfaiteur ou autre, ma famille ne faisait pas dans le trafique - de drogue, d'arme ou d'être humain. Non, ils avaient leur compétence bien à eux : le meurtre.

C'était ainsi, j'avais grandie dans une famille de tueurs à gage, une famille où on ne m'avait pas laissé le choix sur mon avenir. Ils m'avaient tous répété que je continuerai ce que chacun de mes proches avaient fait avant moi. C'était ça ou rien.

Pour être honnête, à choisir, je préférais le rien.

Depuis petite, j'avais vu le sang couler, j'avais appris la torture, le maniement des armes et des couteaux. On m'avait enseigné à utiliser tout ce que je détestais.

Devenir aveugle m'avait, d'un certain point de vue, sauvé de cette vie. Après l'accident, il ne pouvait pas décemment continuer à me former en espérant que je devienne un bon soldat loyal. Ce serait l'équivalent d'envoyer un tueur les yeux bandés. Alors, on m'avait placé dans un centre pour aveugle et malvoyants afin de m'adapter à ma nouvelle condition, et surtout de m'éloigner.

Cependant, ce centre s'était révélé être, par bien des façons, un renouveau. Les médecins, les infirmiers et les phytothérapeutes étaient des gens biens, profondément investis dans leur travail et le bien-être des patients. Les autres résidents du centre étaient aussi super, hilarants ou généreux, pour la plupart. Ils avaient tous été une deuxième famille pour moi. C'était d'ailleurs plusieurs d'entre eux qui m'avaient aidés à quitter cet endroit, une année plutôt, quand j'avais appris que mes parents voulaient me ramener à la maison définitivement.

Je ne pouvais, en aucune façon, retourner là-bas.

Alors j'avais fui, bien décidé à devenir indépendante et maître de mon destin. J'étais partie à l'autre bout du pays pour oublier mon histoire, pour devenir une autre. Car même si ma famille fêtait Noel, les anniversaire et faisait des brunchs chaque dimanche. Même si ils venaient me chercher au centre, tout les week end, pour m'emmener à la mer, à la maison ou rencontrer mes amis, même si, à leur manière, ils avaient toujours pris soin de moi, ce n'était qu'une seule de leur facette, une image de petite famille modèle qui n'avait rien à cacher.

La vérité ? Tout n'était qu'une illusion pour dissimuler les monstres.

InvisibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant