Jour 6 (3)

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Il commença :

-Vous êtes triste ? Un clignement : oui. Vous pourriez chiffrer? Sur une échelle de 1 à 5? un clignement, deux, trois, quatre, cinq. 

Evidemment qu'elle était malheureuse...Il lui caressa doucement la tempe. 

-Vous vous sentez frustrée de ne pas pouvoir dire ce que vous ressentez?  Un clignement : oui. Une pause, puis cinq clignements successifs. Très frustrée...

Une larme perla sur sa joue. Pascal la regarda d'un air malheureux, il essuya la larme en la caressant. Il voulait essayer de l'aider, mais peut être s'y prenait-il mal. Peut-être la faisait-il souffrir davantage...Ce questionnaire  ressemblait peut être trop à un interrogatoire! Déformation professionnelle?

-Hé...Florence...ce n'était peut-être pas une bonne idée? C'est trop difficile? Vous voulez qu'on arrête? Deux clignements : non! D'accord, mais vous me le ferez savoir si vous voulez arrêter, d'accord? Un clignement : oui.

Oh oui, elle était frustrée de ne pas pouvoir lui dire tout ce qu'elle ressentait. Mais ça lui faisait déjà tellement de bien d'entendre la voix de Pascal. Cette voix grave, qu'il savait rendre douce quand elle en avait besoin. Il avait fallu ce drame pour qu'elle se rende compte à quel point il pouvait être attentionné envers elle, à quel point elle avait besoin de lui aussi. Par la force des choses, il était aussi devenu beaucoup plus tactile envers elle ces derniers jours. Il faut dire qu'il ne craignait pas d'être repoussé, maintenant! Florence se souvint de la première fois qu'il avait essayé de lui prendre la main, pour la réconforter, lors de l'enquête sur Philippe. Elle l'avait retirée brusquement comme si le contact l'avait brûlée! Alors que maintenant, elle l'attendait ce contact... Elle avait l'impression de découvrir cet homme, qu'elle côtoyait pourtant presque tous les jours depuis bientôt cinq ans.

-Florence? Vous êtes toujours avec moi? 

Il avait bien remarqué qu'elle semblait perdue dans ses pensées, ne répondant plus à ses sollicitations. Il aurait bien aimé savoir ce qu'elle avait dans la tête... 

Sa dernière question la ramena à l'instant présent.

-Le temps vous semble long ? Un clignement : oui.  Cinq clignements successifs : interminable.

Il hésita, puis se lança :

-vous vous demandez si ça va s'arrêter un jour? Si vous allez pouvoir retrouver votre vie?  Un clignement : oui. Florence, il faut garder espoir, même si c'est difficile. Il faut le faire pour vous, d'abord. Mais pour Jules aussi, il a besoin de vous...Moi aussi, j'ai besoin de vous...Je vous promets que je serai là à vos côtés, pour vous soutenir, quoi qu'il arrive. 

Un long clignement reconnaissant. Elle savait qu'il était sincère. 

Il sentit son téléphone vibrer dans sa poche, le sortit pour regarder l'écran et fit une grimace avant de le rempocher. Il reporta son attention sur Florence, qui cligna une fois des yeux. Oui? mais il n'avait rien dit! "oui à quoi?" il le formula à voix haute, tout en sachant qu'il n'aurait aucune réponse... mais elle essaya clairement de diriger ses yeux sur le côté. Vers la poche dans laquelle il venait de ranger le téléphone? "c'est pour le téléphone?"  Un clignement. "ce n'était rien" fit-il en balayant l'idée d'un geste de la main. Mais, c'étaient ses muscles qui étaient paralysés, pas son cerveau; elle avait très bien vu la moue de Pascal, elle n'était pas idiote! Il fallait qu'elle le laisse partir...Alors, elle cligna deux fois : non, ce n'était pas rien.  Il avoua que c'était Nicky, ses collègues l'attendaient.  Un clignement : oui, il fallait qu'il y aille. 

Pascal hésitait à la laisser seule, elle venait tout juste de refaire surface....Il regarda sa montre, Jules serait probablement bientôt de retour. "j'y vais...vous êtes sûre?" Un clignement : oui. "D'accord". Il la regarda, le plus intensément qu'il put pour lui montrer son soutien. Elle cligna longuement des yeux. Il cligna longuement de la même façon qu'elle venait de le faire. Ils s'étaient compris, sans aucun mot. Avant de tourner les talons, il ne put s'empêcher de passer sa main dans la chevelure rousse de Florence en lui adressant un sourire. 

Cassandre : Dans ses yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant